En catimini, Moscou avance ses pions sur l’échiquier du sport et de la culture

La Fédération internationale des échecs (FIDE) compte réintégrer la Russie, exclue en 2022, ce dimanche 22 septembre 2024 à Budapest. Les Ukrainiens, en contre-attaque, dénoncent un retour du soft power dans les grands événements sportifs et culturels.

Jeu d'échecs

A Budapest, en Hongrie, pour les 45e Olympiades des échecs, le 11 septembre – Photo Denes Erdos / AP

Les initiés appellent ça un blitz. Il n’aura pas fallu plus de quelques jours, après la clôture des JOP de Paris, pour que la Fédération internationale d’échecs (Fide), pourtant associée au Comité olympique international (CIO), passe à l’attaque pour tenter de faire revenir en son sein la Fédération russe d’échecs. Cette dernière avait été sanctionnée en 2022, et exclue temporairement de l’organisation internationale, à la suite de l’invasion de l’Ukraine et de l’organisation de tournois dans des territoires ukrainiens occupés par la Russie. Mais par une combinaison juridique de derrière les fagots, la Fide s’apprête à réintégrer les Russes ce dimanche, lors d’une assemblée générale qui se tiendra à Budapest.

L’assemblée générale de la Fédération Internationale des échecs

L’ordre du jour de l’AG, sur les terres de Viktor Orbán, pion stratégique de Poutine dans le jeu européen, est on ne peut plus limpide : «rétablir les pleins droits des fédérations nationales d’échecs de Russie et du Bélarus», afin que celles-ci puissent participer aux compétitions nationales sous leurs drapeaux et au son de leurs hymnes.

La Fide envisagerait également d’autoriser à nouveau la Russie et le Bélarus à accueillir des tournois internationaux d’échecs. Alors que les Russes ont organisé ces deux dernières années plus de 2 600 événements à Donetsk, à Louhansk et en Crimée, tout en s’efforçant d’intégrer des joueurs des régions ukrainiennes occupées de Zaporijia et de Kherson.

A Kiev, l’affaire est prise très au sérieux

Des poids lourds montent au créneau. Notamment Oleksandr Kamychine, conseiller spécial de Volodymyr Zelensky aux industries stratégiques, et président de la Fédération ukrainienne d’échecs. 

«Il s’agit là d’une bataille difficile et importante, commente Kamychine, homme de confiance du président ukrainien, qui sera présent à Budapest pour contrer la manœuvre. Les drapeaux russes et bélarusses n’ont pas leur place dans les tournois. L’hymne russe n’a pas le droit d’être joué dans le monde libre. Et aucun joueur qui se respecte et tient à sa réputation ne se rendra dans un pays qui tue chaque jour des civils d’un autre pays.»

«Ce drapeau représente la tyrannie»

Des civils, mais aussi des sportifs. Selon le ministère ukrainien des Sports, plus de 500 sportifs et entraîneurs ukrainiens de haut niveau ont été tués à la guerre, et parmi eux 21 joueurs d’échecs de premier plan, deux autres étant portés disparus.

Légende de la discipline, le champion du monde Garry Kasparov s’en est ému : «J’ai été fier de jouer sous le nouveau drapeau russe [après la chute de l’URSS], mais aujourd’hui ce drapeau représente la tyrannie et le meurtre, écrit-il sur le réseau X. Il faut combattre les tentatives de normalisation de l’image de la Russie. La possibilité que quelques Russes poursuivent une activité, même celle que j’aime tant, ne peut être mise au-dessus du sang des Ukrainiens.»

L’affaire est bien entendu éminemment politique. Et pour cause, la Fide, qui demande la réintégration de la Fédération russe, est elle-même… présidée par un Russe, Arkadi Dvorkovitch, au CV particulier : ancien vice-Premier ministre de Vladimir Poutine. Ce dernier n’a écopé que d’une «réprimande» en 2022. Ce qui ne l’a pas empêché de participer en public à des événements de la Fédération russe d’échecs, dont sont membres Sergueï Choïgou, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), et Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, tout ce petit monde aimant se retrouver sous les stucs du fameux Central d’échecs, sur le boulevard Gogol de Moscou.

«Rien n’a changé»

Le 12 septembre, la chambre d’appel de la commission d’éthique et de discipline de la Fide a publié un document annulant les sanctions contre la Fédération russe d’échecs. Et contre Dvorkovitch, la Fédération kirghize s’empressant de demander officiellement la réintégration pure et simple de la Russie dans la Fide. Ceci constituerait un précédent dans le monde du sport depuis 2022. Côté ukrainien, on fourbit ses armes. 

«Notre position est la suivante. Si ces sanctions ont été prises parce que la guerre a commencé et qu’elle se poursuit, rien n’a changé aujourd’hui permettant de modifier cette position initiale», estime Heorhii Tykhyi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères ukrainien.

Alors que l’on observe ces derniers temps des tentatives de retour en catimini de la Russie dans plusieurs institutions du monde du sport et de la culture, notamment des festivals internationaux de cinéma, comme la Mostra de Venise ou le Tiff de Toronto, plusieurs responsables gouvernementaux ukrainiens ont demandé à la Fide de revenir sur son ordre du jour. «Si cet appel est ignoré, cela constituera une base suffisante pour envisager des sanctions à l’encontre du président de la Fédération internationale d’échecs, Arkadi Dvorkovitch, et nous nous adresserons à nos partenaires à ce sujet», avertit Heorhii Tykhyi.

Le meilleur joueur d'échecs de l'histoire,Magnus Carlsen - Photo Maria Emelianova

Jeudi à Budapest, le champion du monde, le Norvégien Magnus Carlsen, a reçu le prix de la Fide du meilleur joueur d’échecs des 100 dernières années, remis par… Arkadi Dvorkovitch – Photo Maria Emelianova

Magnus Carlsen

Sous les yeux de ce dernier et devant l’assemblée, il en a profité pour se prononcer «contre la réintégration des fédérations d’échecs de Russie et du Bélarus».

L’article complet dans Libération

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