Né sur les planches d’une BD d’Enki Bilal en 1992, le chessboxing est aujourd’hui une discipline pratiquée à travers le monde. Un sport insolite qui conjugue le corps et l’esprit, mis à l’honneur lors de l’Olympiade culturelle à Paris mardi 23 juillet.
Le chessboxing, imaginé dans ses BD par Enki Bilal, se joue en enchaînant des rounds d’échecs et de boxe de trois minutes, avant un KO ou un échec et mat. Ici les clubs de Saint-Herblain et de Rennes à l’entraînement | Photo Marc Roger Ouest-France
D’abord, un silence. Tête plongée sur l’échiquier, les joueurs avancent rapidement leurs pions, appuient sur les pendules, se creusent les méninges. Trois minutes plus tard, un sifflet résonne dans le gymnase de la Sensive, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Les joueurs se lèvent, attachent leurs gants et se lancent dans un intense round de boxe anglaise. Les crochets et uppercuts pleuvent et se perdent dans la défense adverse pendant trois minutes, avant que les adversaires retournent à la partie d’échecs en cours.
La scène va se répéter pour la dizaine de pratiquants, ou chessboxeurs, des clubs de Saint-Herblain et de Rennes (Ille-et-Vilaine) présents ce jour-là. Le principe est simple. Six rounds d’échecs et cinq rounds de boxe anglaise – uniquement avec les poings – de trois minutes s’enchaînent. Pour l’emporter, deux options : une victoire sur le tapis par K.O. ou sur la table par échec et mat, ou bien au terme du temps écoulé.
« Combinaison du corps et de l’esprit »
« Ce sport est la combinaison parfaite du corps et de l’esprit, pointe Antoine Lalos, entraîneur et fondateur du club de Saint-Herblain. Vous êtes à la fois le combattant et le général. » Quand les chessboxeurs s’assoient face à leur adversaire, les gouttes de sueur tombent sur l’échiquier. L’air est pesant. Les respirations se font de plus en plus lourdes à mesure que les rounds de boxe passent. La concentration diminue, la lucidité aussi. « Ça nécessite un bon cardio, note l’entraîneur. On s’épuise très facilement. »
Les parties de chessboxing se terminent souvent sur l’échiquier, et non sur le ring – Photo Marc Roger
Le chessboxing a vu le jour dans la BD « Froid Équateur » d’Enki Bilal
Le quadragénaire à la barbe grisonnante, pull-over noir à manches courtes, est « un des pionniers du chessboxing » souffle un adhérent. Antoine Lalos sourit. Il raconte avoir découvert la discipline en 2006, au détour d’un combat organisé aux Utopiales de Nantes, festival international de science-fiction. Car c’est sur les planches que le chessboxing a vu le jour. Plus précisément dans la bande dessinée Froid Equateur de l’auteur Enki Bilal, parue en 1992.
Mais le réel a rattrapé la fiction. Depuis 2003, des combats sont organisés à travers le monde. Sous l’impulsion de quelques passionnés, dont Antoine Lalos, une fédération française de chessboxing a été créée en 2019. La même année, des championnats du monde se déroulent en Turquie. La France y participe et rafle plusieurs médailles.
Cette épopée bleue est retracée dans le documentaire Mental Combat : la naissance d’un sport, sur Canal +. Antoine Lalos apparaît dans les premières minutes. On le voit perdre le premier combat de l’équipe de France. Cinq ans après, celui qui n’est pas compétiteur pour un sou en rigole encore. Aujourd’hui, à 46 ans, il continue de jouer de temps à autre, se dit trop vieux pour remonter sur le ring et préfère se concentrer sur le coaching.
Compétitions internationales
C’est Antoine Lalos qui a initié Gabriel Lacouture à cette discipline. Tee-shirt blanc à l’effigie du chessboxing français, fine coupure sur l’arcade, l’orthophoniste de profession vient du milieu des échecs. C’est en intégrant le club qu’il s’est lancé dans la boxe. En mai 2024, il a remporté l’Intellectual Fight Club, une ligue de combats de gala à travers le monde, dans la deuxième catégorie à Sète (Hérault). Son rythme de croisière ? « Jusqu’à cinq entraînements de boxe anglaise par semaine et une heure d’échecs par jour », affirme le jeune homme, qui espère de nouveau participer aux championnats du monde en 2024.
Gabriel Lacouture a participé aux championnats du monde de chessboxing à Riccione (Italie), en 2023 | Photo Marc Roger, Ouest-France
Dame f7, fou f6… Son adversaire est en échec, se gratte la tête. Gabriel, qui possède un très bon classement (ELO) de 1800, avance sa tour. Échec et mat. L’autre fait tomber son roi avant de lui tendre la main. Scrutant les parties en cours, Antoine Lalos confirme que « 70 à 80 % des combats se terminent sur l’échiquier ». La raison ? « Il est très difficile de mettre quelqu’un K.O. en boxe anglaise », assure cet ancien boxeur qui s’est mis aux échecs après une vilaine blessure.
Pas le temps de rejouer les coups que l’entraîneur siffle la reprise. « Tout le monde a repris ses esprits ? », lance l’entraîneur. On rattache les gants, et c’est reparti pour trois minutes de boxe. De quoi défouler Nicolas Boucher. Pendant trois semaines, le candidat MoDem aux élections législatives anticipées dans la 1ère circonscription d’Ille-et-Vilaine avait la tête dans le guidon. « Je ne sais pas si je vais être bon aujourd’hui », sourit l’élu municipal d’opposition.
Du chessboxing aux Jeux olympiques ?
« La fédération m’avait proposé de m’entraîner ici, dans la région nantaise », se remémore-t-il. L’heure de route l’a rebuté, Nicolas Boucher a préféré prendre le taureau par les cornes et a cofondé le club de chessboxing de Rennes en septembre 2023. Depuis, il interpelle ceux qui jouent aux échecs sur leur téléphone dans les transports en commun, leur vante le chessboxing. « Ce sont surtout les joueurs d’échecs qui s’intéressent à cette discipline », pense-t-il. En tout cas, la demande est présente. Il a été approché par un groupe d’amateurs qui souhaiteraient monter un club à Lorient (Morbihan).
« Le chessboxing est un sport valorisant, pense Antoine Lalos. C’est dur physiquement et mentalement. » | Photo Marc Roger, Ouest-France
Et si certains doutent encore du sérieux de la discipline, un ring sera monté sur la scène de l’Olympia à Paris mardi 23 juillet. L’évènement se déroule dans le cadre de l’Olympiade culturelle, qui explore le lien entre l’art, le sport et les valeurs olympiques à la veille des JO 2024.
« Un bon coup de projecteur sur la discipline », résume Antoine Lalos. La verra-t-on un jour aux JO ? En 2022, dans une interview au Figaro , Enki Bilal, le papa de la discipline, estimait que « le chessboxing est un sport parfaitement olympique », symbole de la maxime « un esprit sain dans un corps sain » chère à Pierre de Coubertin. Les organisations internationales de chessboxing en rêvent. Silencieusement, la discipline avance ses pions.
L’article complet dans Ouest-France