Mitra Hejazipour exclue en Iran, championne d’échecs en France

PORTRAIT – Bannie de la sélection iranienne, en 2019, pour avoir refusé de porter le voile, la joueuse d’échecs est devenue, fin août, championne de France. Et française.

« Je suis en France, dans un pays que je considère comme un temple des libertés, le contexte est très différent par rapport à l’Iran », confie Mitra Hejazipour, championne de France d’échecs - Photo  Sébastien Soriano /Le Figaro

« Je suis en France, dans un pays que je considère comme un temple des libertés, le contexte est très différent par rapport à l’Iran », confie Mitra Hejazipour, championne de France d’échecs – Photo Sébastien Soriano /Le Figaro

Mitra Hejazipour voit le jour, en 1993, à Machhad, la deuxième plus grande ville iranienne après Téhéran, «une ville très religieuse». Sa famille ne déroge pas à la règle et aux traditions: «Mes parents, raconte-t-elle, sont des musulmans très pratiquants. Ils nous obligeaient à porter le hidjab, ce que j’ai trouvé normal jusqu’à un certain âge.» «Jusqu’à un certain âge?» Elle explicite: «L’entente familiale était bonne jusqu’à ce que je voyage grâce aux compétitions d’échecs.» C’est à partir de ce moment que tout a basculé.

Fille d’un père ingénieur et d’une mère au foyer, celle qui est devenue française en mai 2023 a vécu une enfance paisible, bercée par sa passion précoce des échecs. «J’ai appris à jouer en regardant mes proches partager des parties», se souvient-elle. Tout se passe donc sans encombres jusqu’à ce qu’elle sorte de son pays. «Contrairement à aujourd’hui où les Iraniens ont accès à l’information et sont contre le gouvernement, le pays était alors isolé, internet n’était pas encore développé partout et donc nous ne voyions pas ce qui se passait chez les autres. Mais grâce à ces voyages, j’ai découvert d’autres mœurs, d’autres coutumes qui me paraissaient moins liberticides. Les filles n’étaient pas obligées de porter le voile!»

Avec sa sœur – qui est restée en Iran -, elles décident alors de résister face à ce «manque de liberté». Las, leurs parents ne l’entendent pas de cette oreille. Une réaction qu’elle explique aujourd’hui, sans ressentiment apparent. «Eux non plus n’avaient pas accès au monde libre. Ils ne comprenaient pas trop. Moi, je voyais la réalité des autres cultures, mais eux ne l’avaient jamais vue. Il faut le voir pour le comprendre, les discours ne servent à rien dans un premier temps.» Peu à peu, cependant, les tensions s’apaisent et ses parents acceptent ses convictions. «Avec la pression que je leur mettais, ils n’avaient pas le choix!», s’amuse-t-elle.

Pour moi qui ai vécu en Iran sous la pression d’un gouvernement islamique, je considère qu’il met les femmes dans une position d’infériorité par rapport aux hommes

Mitra Hejazipour, championne de France d’échecs

Révolution interne

Cette révolution interne la transforme. «Après une éducation basée sur le lavage de cerveau, sur l’application des règles islamiques, j’ai mis deux ans à réaliser que ma vie pouvait changer. Et aujourd’hui, je ne suis plus croyante du tout.» Mitra Hejazipour estime aussi que «la réflexion qu’exigent les échecs» l’a rendue  plus mature. «Quand vous y jouez, chaque partie est une expérience. Cela aide pour la vie réelle.»

En 2019, en cohérence avec ses opinions, l’athlète refuse de porter le voile lors des championnats du monde d’échecs en Russie auxquels elle participe sous la bannière iranienne. La sanction est immédiate: «J’ai été exclue de la sélection et je suis arrivée à Brest directement après cet événement. Je ne pouvais pas retourner en Iran.»

Cet été, je suis devenue championne de France et juste après nous avons rapporté la médaille de bronze aux championnats du monde et d’Europe par équipe

Mitra Hejazipour, championne de France d’échecs

En France, la jeune femme poursuit ses études d’ingénieur à Paris tout en continuant sa carrière sportive. «J’ai trouvé un club, à Lyon, sauf que je n’y habite pas ; je m’entraîne donc contre des IA et je joue avec cette équipe seulement lors des compétitions.» Ayant eu vent de son histoire, les ministères français des Sports et de l’Intérieur lui proposent de lui octroyer la nationalité française afin de lui permettre de jouer aux échecs en France. Cette émancipation personnelle lui permet de prendre du galon dans sa discipline. «Cet été, raconte-t-elle fièrement, je suis devenue championne de France et juste après nous avons rapporté la médaille de bronze aux championnats du monde et d’Europe par équipe. C’est le meilleur résultat dans l’histoire des échecs français aux mondiaux!»

«Je milite pour la liberté des femmes en Iran»

Ne pouvant retourner dans son pays natal, Mitra Hejazipour garde cependant un contact régulier avec sa famille, qui y réside toujours.  «Je n’ai pas revu mes parents et ma sœur physiquement depuis 2019. Nous faisons des FaceTime de temps en temps, mais c’est tout. Je ne reviens pas encore en Iran, cela pourrait être dangereux.» D’autant que la championne de France d’échecs est désormais devenue une sorte d’influenceuse politique: «Je donne mes opinions sur les réseaux sociaux, j’accorde des interviews pour partager mon expérience. Je suis heureuse, car d’autres femmes ont suivi mon mouvement en Iran. Des Iraniennes ont refusé de porter le voile en escalade, en taekwondo. Je milite pour la liberté des femmes en Iran.»

Pour moi qui ai vécu en Iran sous la pression d’un gouvernement islamique, je considère qu’il met les femmes dans une position d’infériorité par rapport aux hommes

Mitra Hejazipour, championne de France d’échecs

Vivant aujourd’hui à Paris, Mitra Hejazipour garde toujours le même mantra. «Je suis en France, dans un pays que je considère comme un temple des libertés, le contexte est très différent par rapport à l’Iran. Je vois ces femmes qui ont envie de porter le voile et je peux comprendre cette envie de porter ce que l’on veut. Mais il faut tout de même bien voir que le hidjab restreint la vie des femmes. Pour moi qui ai vécu en Iran sous la pression d’un gouvernement islamique, je considère qu’il met les femmes dans une position d’infériorité par rapport aux hommes. Les femmes ont le choix de le porter en France, mais je ne considère pas qu’il s’agisse de la bonne décision.»

Son combat, elle le conçoit comme une forme d’avertissement mais aussi d’exemple. «Je veux que les jeunes filles se rendent compte que leur vie peut ressembler à la mienne.» «Combattante et persévérante», comme la décrivent ses proches, Mitra Hejazipour s’est trouvé un destin en or en France. Un pays où son talent pour les échecs s’exprime librement. Une femme d’exception.

L’article complet sur Le Figaro sous la plume experte de Sacha Beaud’huy

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