On ne peut plus parler d’effet pandémie. En février 2023, pour la première fois, les utilisateurs de la plateforme Chess.com ont joué plus d’un milliard de parties.
Et si même Leo Messi et Cristiano Ronaldo se penchent sur l’échiquier, il ne fait aucun doute qu’on assiste à un tournant historique – Photo Annie Leibovitz
L’automne passé, juste avant le mondial qatari, on a pu voir les deux plus grands footballeurs du XXIe siècle assis l’un en face de l’autre, l’air pensif. Les pièces étaient posées sur une valise beige au design caractéristique de Louis Vuitton. Le cliché était d’Annie Leibovitz, qui les a photographiés chacun de son côté, car l’Argentin et le Portugais n’ont pas joué l’un contre l’autre, et ne se sont même pas rencontrés. C’est grâce à un montage numérique que la célèbre photographe américaine a créé cette composition publicitaire.
Comment Internet s’est enflammé pour les échecs
L’image, publiée sur Instagram la veille de la cérémonie d’ouverture du mondial, reste jusqu’à présent celle qui a été le plus likée de tous les temps. Le seul fait que la prestigieuse marque de mode ait décidé de recourir aux échecs pour sa campagne de marketing en les associant aux sportifs les plus célèbres du monde est la preuve que ce jeu est devenu sexy. La disposition des pièces a immédiatement été analysée. Il s’est avéré qu’elle ne relevait pas du hasard. Peter Heine Nielsen, grand maître danois et second du champion du monde Magnus Carlsen, a été le premier à écrire sur Twitter que les créateurs de la publicité avaient reproduit la partie jouée par le Norvégien contre l’Américain Hikaru Nakamura, un autre joueur de premier plan, en 2017.
Ces deux génies du maniement des pions et des dames sont aussi des vedettes des réseaux sociaux, auxquels la popularisation des échecs doit beaucoup. Ils sont très éloignés de l’image caricaturale des grosses têtes voûtées qui vivent dans un monde abstrait de 64 cases dont les coordonnées marquées par des lettres et des chiffres permettent d’enregistrer le déroulement d’une partie.
L’inflation du nombre de joueurs d’échecs en ligne
Le nombre d’amateurs du jeu a commencé à augmenter de manière notoire quand le COVID-19 a obligé l’humanité à se confiner. Mais c’est au début de l’année que la dynamique de progression a véritablement atteint des hauteurs stratosphériques. En janvier, les dirigeants de Chess.com – la plateforme la plus fréquentée, qui a racheté l’entreprise de Carlsen Play Magnus – ont été contraints à plusieurs reprises de présenter leurs excuses aux joueurs à cause du plantage de leurs serveurs. Le record du nombre d’utilisateurs actifs était battu quotidiennement. Depuis décembre dernier, le trafic sur le site a presque doublé.
En février, de nouveaux amateurs ont rejoint la plateforme, sur laquelle 1.057.320.754 parties ont été jouées, dont près de 55 % entre êtres humains, et un peu plus de 45 % entre un humain et un logiciel informatique. Toutes les données détaillées laissent penser que sa progression est supérieure à une progression arithmétique, et Danny Rensch, l’un des dirigeants de Chess.com, estime que ce n’est qu’un début. Selon lui, « Ce n’est pas un boom, c’est une nouvelle norme ». Et d’avancer une autre statistique impressionnante : certains jours, 300.000 personnes s’enregistrent sur le site, soit plus de 100.000 de plus que lors du pic de popularité de la série Le Jeu de la dame.
Le Jeu de la dame, série à succès de Netflix
Cette production Netflix, qui a connu un grand succès, a largement contribué à ancrer le mouvement des pièces sur l’échiquier dans l’imaginaire collectif. L’histoire était entièrement fictionnelle – aucune joueuse d’échecs ne s’est jamais approchée de la position de numéro un mondial dans la catégorie open, et personne ne serait en mesure de défier Kasparov et ses pairs dans un état d’alcoolisation avancé – mais elle a plu aussi bien aux non-initiés qu’aux géants de la discipline. La vie de la petite orpheline qui, grâce à un concierge, se prend de passion pour les échecs, puis triomphe du sexisme du milieu et de ses propres addictions, a touché le public. Hypnotisé par le jeu d’Anya Taylor-Joy, les spectateurs, au lieu d’y voir des combinaisons tactiques ennuyeuses, ont été happés par le destin de conte de fées de l’enfant prodige. Personne n’avait jamais présenté ce jeu complexe sous un jour aussi attractif.
Et la pandémie a créé des conditions idéales à la contamination des foules par le jeu d’échecs. Il a ensuite suffi aux spectateurs charmés par la carrière de Beth Harmon de se connecter sur internet pour tenter leur chance dans des affrontements avec des rivaux des cinq continents (que l’algorithme peut choisir au hasard parmi les joueurs au classement similaire) sans être obligés de connaître leur langue et pour un coût minimal, voire nul.
Dans le milieu, il se dit que cette combinaison de facteurs a été à l’origine d’un étonnant retournement final, qui a vu un divertissement plutôt élitiste devenir un hobby populaire. À la surprise générale, on s’est rendu compte que beaucoup de gens étaient enclins à se lancer dans une activité stimulante intellectuellement lorsqu’ils s’assoient devant un écran connecté à internet – ce qui, en théorie, est plutôt censé entraîner un ramollissement des capacités cognitives.
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