Le joueur d’échecs controversé Hans Niemann

Le jeune grand-maître d’échecs américain éblouit par ses victoires – et s’attire de nouvelles accusations

Le jeune grand-maître d'échecs américain éblouit par ses victoires – et s'attire de nouvelles accusations

L’Américain «joue à un niveau jamais vu, mais nous n’avons aucun élément concret prouvant qu’il triche».

Cette phrase lourde d’insinuations, citée par le quotidien norvégien Aftenposten, a été lâchée par l’organisateur du tournoi de Zagreb, remporté dans des circonstances inhabituelles, nous y reviendrons – par Hans Niemann, le jeune joueur âgé de vingt ans. Un talent exceptionnel et un tricheur dans un même corps. Ou plutôt, dans un même cerveau.

Il est actuellement le joueur d’échecs le plus connu – et certainement le plus controversé – au monde après Magnus Carlsen. Et l’Américain a précisément acquis sa renommée grâce au prodige norvégien, qui avait subi une défaite face à lui en septembre 2022. Carlsen s’est retiré du tournoi de St-Louis le jour suivant. Quelques jours plus tard, il a accusé son adversaire, dont l’attitude décontractée, voire même distraite dans les moments cruciaux de la partie, semblait suspecte, de tricherie. Par le passé, Hans Niemann a admis s’être aidé de moteurs d’échecs, et avait gagné une compétition en ligne malhonnêtement sur la plateforme Chess.com. Cependant, le match malheureux contre Magnus Carlsen s’est joué over the board, c’est-à-dire sur un échiquier réel, en face-à-face.

«Moi, le nouveau Bobby Fischer»

Si l’Américain a qualifié ses délits passés d’erreurs de jeunesse, il a cette fois protesté avec véhémence. Cela a marqué le début d’un feuilleton de plusieurs mois, qui a ébranlé toute la communauté des échecs. L’accusé a répété qu’il n’avait jamais triché lors d’un match en présentiel, tandis que l’accusateur a annoncé qu’il ne jouerait plus jamais avec lui (et, effectivement, lors de la rencontre suivante, en ligne cette fois, il a abandonné après le premier coup). Des enquêteurs professionnels et autoproclamés ont commencé à analyser les parties jouées par le suspect, à l’aide de programmes informatiques bien plus puissants que les meilleurs joueurs d’échecs actuels, afin d’examiner la précision des coups, et d’ensuite déterminer dans quelle mesure ils s’éloignent de la perfection, s’ils sont inhumains ou s’ils sont cohérents avec le classement de Hans Niemann.

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Puis, cela a été l’escalade. Danny Rensch, détective des échecs au service de Chess.com, a affirmé que l’Américain avait manipulé 102 parties, sans avoir trouvé de preuves de ces tricheries sur l’échiquier. Hans Niemann a poursuivi Magnus Carlsen, réclamant 100 millions de dollars de dommages-intérêts pour calomnie, diffamation et collusion contre lui par des personnalités puissantes. Le tribunal l’a débouté et les parties sont finalement parvenues à un accord « pour le bien de la discipline ». Le tricheur présumé a pu réintégrer Chess.com, et le Norvégien a accepté de jouer contre lui.

Mais la polémique a repris de plus belle la semaine dernière. Non pas en raison de la victoire de Niemann au tournoi de Zagreb – seul un participant était mieux placé au classement de la FIDE – mais de la manière dont il a vaincu ses adversaires. Il n’a perdu aucune partie et en a gagné sept sur neuf, alors que le tournoi suivait une formule de cadence classique, où le résultat le plus fréquent à ce haut niveau est le match nul. L’Américain a réalisé une performance Elo céleste de 2946 points (les victoires sont évaluées en fonction du niveau de l’adversaire), non seulement supérieure à celle de tout autre joueur d’échecs cette année, mais aussi l’une des meilleures au monde de l’histoire moderne du jeu royal. Il n’a été devancé que par Fabiano Caruana à St-Louis en 2014, Magnus Carlsen à Pearl Springs en 2008 et Anatoli Karpov à Linares en 1994.

La tension est exacerbée par Niemann lui-même, en partie ostracisé. Selon des observateurs du tournoi croate, ses adversaires lui tendent la main, mais ne lui adressent pas la parole. Au lieu de faire profil bas, comme il sied à tout criminel repentant qui aurait été amnistié, il publie des posts provocateurs sur les réseaux sociaux, comme cette photo où il regarde l’objectif avec défiance, un cigare à la main, avec, en légende : « Serein, imperturbable, inébranlable. Les échecs ont parlé et parleront toujours ». Ou encore, il se compare à Bobby Fischer, sa photo en regard de celle du grand maître légendaire, surmontée de ce commentaire : « Deux Américains seuls contre tous, faisant front à des obstacles incommensurables ».

98 pour cent de perfection

C’est ainsi qu’a réagi le très jeune joueur d’échecs à son triomphe au tournoi de la Paix de Zagreb, remporté il y a 53 ans par son illustre compatriote. Un provocateur né et, à en juger par les réponses des internautes sur la plateforme X, une star qui a de plus en plus de fans. Les proportions sont en train de tourner en sa faveur, alors qu’au début, l’opinion publique soutenait Carlsen et d’autres accusateurs.

Aux échecs, la tricherie consiste à utiliser une technologie miniature afin d’obtenir l’assistance de moteurs, le tout grâce à une communication secrète avec un complice, un gadget caché dans les toilettes. Dans ce cas précis, il a même été avancé que Hans Niemann portait durant le match un chapelet anal connecté sans fil, dont les vibrations lui indiquaient les bons déplacements. Mais à moins que le joueur ne soit pris en flagrant délit, il est impossible d’apporter des preuves concrètes. Il ne reste plus qu’un procès basé sur des présomptions consistant à établir la coïncidence des coups du tricheur présumé avec les propositions du moteur.

Ainsi, on prévient généralement la tricherie en s’assurant que les joueurs d’échecs n’apportent pas d’appareils électroniques aux tournois. Ce n’était pas le cas à Zagreb, les organisateurs ayant seulement décalé la retransmission en ligne – pour qu’un éventuel complice ne puisse pas suivre la partie en direct – et l’événement s’est terminé dans une ambiance délétère. « Il est difficile de rivaliser avec quelqu’un qui joue 98 pour cent de coups parfaits. Et ici, il n’y a aucune mesure préventive contre les tricheurs, on ne passe même pas au détecteur », a écrit sur X Ivan Sokolov, après sa défaite contre l’Américain. Ancien champion de Yougoslavie et des Pays-Bas, désormais entraîneur, il a mené l’équipe d’Ouzbékistan à la médaille d’or à la dernière Olympiade d’échecs.

Il y aura toujours des haters

Le Bosniaque n’était pas le seul à s’interroger. « Niemann joue à un niveau jamais vu, mais nous n’avons aucun élément concret prouvant qu’il triche. Nous avons entendu des commentaires [de ses rivaux] à son sujet, mais nous ne savons pas si quelqu’un compte déposer plainte », a déclaré à Aftenposten Kresimir Podravec, président de la Fédération croate, qui a également réagi aux doutes du magazine Forbes : « Nous avons fait ce qui était en notre pouvoir pour détecter tout élément inhabituel, nous avons même augmenté le délai de retransmission en ligne. Je n’aime pas le fait que l’attention du tournoi soit détournée sur cela et je n’ai pas l’intention de faire d’autres commentaires. Cela fait plus de tort que de bien. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve. Peut-être est-il réellement un génie et un futur champion du monde ? ».

Cependant, la méfiance grandit au sein de la communauté et touche des joueurs de plus en plus célèbres. Fabiano Caruana a récemment admis dans un podcast que des rivaux l’avaient accusé, et l’ancien champion du monde Vladimir Kramnik a lancé des accusations de tricherie en ligne contreHikaru Nakamura, qui occupe actuellement la troisième place dans ce classement. Certaines voix sarcastiques s’élèvent même pour dire que les joueurs d’échecs auront bientôt peur de faire des coups trop parfaits, de crainte d’avoir à prouver qu’ils ne sont pas des chameaux[A1] . Des commentateurs demandent également à la FIDE d’introduire des règles strictes à respecter pour pouvoir accuser un adversaire ou même pour faire une remarque subtile qui sèmerait le doute.

En attendant, Hans Niemann, l’humeur excellente, s’est envolé pour Londres juste après la remise du prix à Zagreb, pour un tournoi autrement plus difficile, et où les organisateurs ont introduit des mesures de sécurité strictes. Fatigué, l’Américain a fait match nul lors des trois premières parties, mais à l’heure où nous bouclons cet article, il était invaincu, à un demi-point du leader. Ses avocats ont eux aussi réagi : « Malgré les innombrables preuves du talent exceptionnel de Hans, il y aura toujours des haters. Notre conseil est simple : faites-vous une raison. Hans ne fait que débuter ».

L’expression « être un chameau » est utilisée dans le monde des échecs pour décrire les joueurs qui trichent.

L’article complet est à lire sur Le Figaro sous la plume de Rafał Stec (Gazeta Wyborcza)

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