« Le sentiment d’avoir été entendues » La joueuse et activiste trans Yosha Iglesias salue la mise en place d’un plan fédéral de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les échecs. En 2023, plusieurs témoignages de joueuses ont bousculé la discipline et incité la fédération à adopter des mesures pour former ses encadrants et faciliter les signalements.
En août dernier, elle a fait partie des 14 joueuses d’échecs de haut niveau à l’origine d’une lettre ouverte pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles (VSS) dans les échecs. Alors que la fédération française (FFE) vient de présenter une batterie de mesures pour lutter contre ces violences, Yosha Iglesias, 35 ans, joueuse et activiste trans, souligne l’ambition de l’instance dirigeante mais reste vigilante sur l’application concrète de ce plan. Celui-ci doit permettre aux joueuses de pratiquer leur passion sans subir de préjugés ou d’agressions, dans une discipline où les femmes représentent seulement 17 % des 45 000 licenciés en France.
Quelle a été votre première réaction après l’annonce du plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) de la fédération, le 23 novembre ?
YOSHA IGLESIAS. J’ai été agréablement surprise. Avec plusieurs autres joueuses, nous avions déjà échangé sur le sujet avec des responsables fédéraux, mais nous n’avons pas été directement impliquées dans la création de ce plan. Nous avons le sentiment d’avoir été entendues, ce sont des mesures qu’on appelait de nos vœux. Une grande partie de nos recommandations ont été reprises, notamment sur la formation des encadrants et la mise en place de référents locaux. C’est une avancée.
Avant ces annonces, quel était votre constat sur la question des VSS dans la discipline ?
Il fallait une prise de conscience à tous les niveaux. Les joueuses avaient relativement peu conscience du problème, et nous-mêmes pouvions parfois sous-estimer la réalité des violences. Il y avait une part de déni. Avant la mise en place du partenariat avec l’association Colosse aux pieds d’argile début 2022, rien ne permettait aux femmes de témoigner en cas de situation à risque. On était livrées à nous-mêmes, sans aucune procédure. Il y a encore quelques mois, il n’y avait même pas de contrôle d’honorabilité des encadrants et dirigeants par le ministère des Sports. On pouvait devenir entraîneur même avec un casier judiciaire mentionnant des faits de harcèlement ou d’agression sexuelle.
« Nous avons besoin que les joueuses s’unissent et forment une espèce de contre-pouvoir »
Yosha Iglesias
Comment se traduisent ces violences ?
C’est un système pyramidal. À la base, il y a des préjugés omniprésents, plus ou moins conscients. La plupart des joueurs pensent que les femmes sont intrinsèquement moins fortes que les hommes. Ensuite, on retrouve des violences verbales, sous couvert de blagues ou de faux compliments, du style « tu joues bien pour une femme », en opposant un style de jeu féminin par opposition à un style de jeu plus viril, etc. Puis viennent les violences écrites, le harcèlement. La plupart des joueuses de haut niveau qui pratiquent depuis plusieurs années ont reçu des messages explicites non consentis, subi du harcèlement sexuel, parfois du harcèlement moral. Personnellement j’ai reçu beaucoup de harcèlement anti-LGBT… Tout ça est très présent au quotidien. Et bien sûr, en haut de la pyramide, il y a les violences physiques et sexuelles. Des entraîneurs condamnés à plusieurs années de prison, on en a vu plusieurs.
En quoi la lettre ouverte signée par une centaine de joueuses l’été dernier a accéléré la prise en compte du problème au niveau fédéral ?
Ça n’a pas été simple, les premières réactions à la lettre ont été mitigées, nous avons reçu le soutien de beaucoup d’hommes et de femmes, mais aussi, comme on s’y attendait, une levée de boucliers de certaines ou même simplement du mépris. On a aussi entendu l’argumentaire classique du type « ce sont des féministes », « ça nuit à l’image des échecs », « on ne peut plus rien dire », etc. Heureusement, cette position devient de plus en plus minoritaire. Pour moi, la mise en place du plan fédéral français est la conséquence directe de notre lettre et de sa reprise médiatique. Sans ça, je ne crois pas que nous aurions été entendues. Nous avons besoin que les joueuses s’unissent et forment une espèce de contre-pouvoir pour dénoncer à chaque fois que c’est nécessaire.
Que doit-il se passer maintenant ?
Nous resterons extrêmement vigilantes sur la mise en place du plan. Je veux être optimiste tout en étant réaliste. Ce qui s’est passé depuis cet été a été difficile à vivre pour la fédération. Quand autant d’articles font du bruit en mentionnant des violences, la publicité n’est pas bonne. Forcément, la FFE se devait d’agir. Si ce plan annoncé et relayé par les médias n’est pas suivi d’actions, les dirigeants savent qu’on sera là pour les rappeler à leurs responsabilités. Il y a une réelle volonté de faire le bien, mais le fait de l’avoir annoncé oblige à avoir des résultats, et si ce n’est pas le cas, il y aura un nouveau « bad buzz ».
L’article complet est à lire sur le Parisien