Wilhelm Steinitz, le fondateur de l’école positionnelle

Wilhelm Steinitz fut le premier champion du monde officiel de l’histoire des échecs. Il a défini dans The Modern Chess Instructor les éléments essentiels de la stratégie.

L’Autrichien Wilhelm Steinitz (1836-1900) aura été le premier à avoir l’honneur de porter le plus prestigieux des titres échiquéens. Dans l’histoire des échecs, il reste une figure emblématique.

Johannes Zukertort et Wilhelm Steinitz, dans leur premier match de New York en 1886 dont le score final sur 20 parties tournera nettement à l’avantage de Steinitz avec 10 victoires pour 5 défaites et 5 nulles (+10, 5=, 5-). Après une victoire initiale de Steinitz, Zukertort gagne quatre parties consécutives. Malgré ce départ difficile Steinitz se reprend et s’impose dix victoires à cinq (avec cinq nulles) et devint ainsi le premier champion du monde officiel.

Philidor le Copernic des échecs et Steinitz, son Galilée

Si Philidor, avec sa géniale intuition, – « les pions sont l’âme des échecs » -, peut être considéré comme le Copernic des échecs, on peut affirmer que Steinitz aura été son Galilée, c’est-à-dire celui qui jeta les fondements du jeu positionnel. Dans son ouvrage encyclopédique intitulé Mes grands prédécesseurs, Kasparov affirme même que les échecs modernes ont débuté avec l’école de Steinitz.

En effet, pour la première fois, un maître de la plus haute magnitude définissait ce à quoi doit penser un joueur pendant une partie. Pour lui, toute décision est le fruit d’une évaluation objective de la position. Pour ce faire, à l’instar de Mendeleïev dans le domaine de la chimie, Steinitz, en bon scientifique de formation qu’il est, isole les éléments «positionnels» de chaque camp. La qualité structure des pions (isolé doublé, arriéré, avancé), les colonnes ouvertes, le centre de pions, la paire de fous, la sécurité du roi, l’avance de développement si chère au génial Paul Morphy servent de boussole aux tenants des Blancs ou des Noirs.

Une fois que le joueur a étalonné avec précision les forces et les faiblesses de sa position, il sait s’il possède l’initiative et donc la possibilité d’attaquer. Pour Steinitz, ces avantages structurels sont parfois minimes. Il ne s’agit plus comme les premiers romantiques de partir gaiement à la chasse au roi, mais de se concentrer sur un point faible précis, comme un pion isolé par exemple. L’Autrichien, sûr de sa théorie et de son approche, en déduira un axiome qui guidera nombre de ses successeurs: « Celui qui possède (un ou) des avantages doit attaquer sous peine de (le ou) les perdre ».

Obstiné, travailleur, persévérant, Steinitz passera 30 ans de sa vie à démontrer par écrit (son ouvrage The Modern Chess Instructor possédera l’aura d’une Bible de son vivant) et sur l’échiquier ses conceptions. Il gagne match sur match contre les meilleurs bretteurs de l’époque que sont Johannes Zukertort, Isidor Gunsberg, Joseph Henry Blackburne, Serafino Dubois… Dans toutes ces confrontations, Steinitz ne refuse jamais la lutte des idées. Il s’ingénie même à mener parfois des parties difficiles avec des pions isolés uniquement pour défendre ses points de vue. Pour Steinitz, le jeu d’échecs est une science qui obéit à des règles et cela ne se discute pas.

Mikhaïl Tchigorine, le pourfendeur des idées de Steinitz

Toute idéologie fait naître la contradiction. Mikhaïl Tchigorine (1850-1908) mènera la rébellion. À l’opposé de Steinitz, il croit que les échecs ne peuvent se résumer à une simple approche rationnelle. Pour lui qui considère les échecs comme un art, l’esprit polémique de Steinitz qui aime plus que tout ranimer les querelles des anciens et des modernes ressemble ni plus ni moins à du dogmatisme. Il n’hésite pas à exposer sa vision du jeu dans les journaux qui, à l’époque, commencent à réserver de plus en plus régulièrement des colonnes aux maîtres d’échecs: « Le génie d’Anderssen et de Morphy n’exige pas de posséder une compréhension abstraite ».

Le Russe balaie d’un revers de la main « les principes immuables » steinitziens. Il l’affirme et fera tout pour le prouver sur l’échiquier: « La vérité ne se trouve qu’après une analyse détaillée de chaque variante. Et là seulement après, la lumière peut apparaître sur l’échiquier ».

L’Autrichien relèvera le gant. Rivaux intellectuels, les deux champions joueront deux matches de championnat du monde. Dans le second en 1892, Steinitz ne devra son salut qu’à la fragilité des nerfs de son adversaire. Pour un temps, les théories de l’Autrichien vont prévaloir. Il faudra attendre l’avènement d’Emanuel Lasker pour comprendre que la partie d’échecs est à la fois une science, un art, mais aussi une lutte psychologique entre deux cerveaux.

Emanuel Lasker, le deuxième champion du monde d’échecs

Et pour conclure cet article consacré à Steinitz, deux superbes combats durant lesquels l’Autrichien et Tchigorine vont mener des attaques terribles: Steinitz avec une lente partie Espagnole et le Russe avec un gambit Evans digne des attaques d’Anderssen et… Kasparov.

Steinitz 1-0 Tchigorine, La Havane, championnat du monde d’échecs 1892, 4e partie, Ruy Lopez défense Berlinoise

1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 Cf6 4. d3!? (a) d6 5. c3 g6 6. Cbd2 Fg7 7. Cf1 O-O 8. Fa4 Cd7 9. Ce3 Cc5 10. Fc2 Ce6 11. h4! (b) Ce7 12. h5 d5 13. hxg6 fxg6 14. exd5 Cxd5 15. Cxd5 Dxd5 16. Fb3 Dc6 17. De2 Fd7 18. Fe3 Rh8 19. O-O-O Tae8 20. Df1 a5 21. d4 exd4 22. Cxd4 Fxd4 23. Txd4! Cxd4 24. Txh7+!! (c) Rxh7 25. Dh1+ Rg7 26. Fh6+ Rf6 27. Dh4+ Re5 28. Dxd4+, les noirs abandonnent 1-0.

https://lichess.org/embed/game/oySFOURV?theme=blue&bg=auto

a) Steinitz emploie un système lent qui ne convient pas à son adversaire.

b) Une méthode, de nos jours classique, pour ouvrir la colonne h.

c) Le joueur positionnel tire les fruits de sa stratégie et ne recule pas devant l’utilisation d’un violent sacrifice de tour.

Echecs

Steinitz vient de jouer le spectaculaire 24. Txh7 + !!

Tchigorine 1-0 Steinitz, La Havane, championnat du monde d’échecs 1892, première partie, Gambit Evans

1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fc4 Fc5 4. b4!? (a) Fxb4 5. c3 Fa5 6. O-O d6 7. d4 Fg4 8. Fb5 exd4 9. cxd4 Fd7 10. Fb2 Cce7 ? (b) 11. Fxd7+ Dxd7 12. Ca3! Ch6 13. Cc4 Fb6 14. a4 c6 15. e5 d5 16. Cd6+ Rf8 17. Fa3 Rg8 18. Tb1 Chf5 19. Cxf7! (c) Rxf7 20. e6+ Rxe6 21. Ce5 Dc8 22. Te1 Rf6 23. Dh5 g6 24. Fxe7+ Rxe7 25. Cxg6+ Rf6 26. Cxh8 Fxd4 27. Tb3 Dd7 28. Tf3 Txh8 29. g4 Tg8 30. Dh6+ Tg6 31. Txf5+, Steinitz abandonne 1-0.

https://lichess.org/embed/game/b6P0B3P6?theme=blue&bg=auto

a) Le fameux gambit du capitaine Evans. Les blancs sacrifient un pion pour pouvoir former un centre idéal: e4-d4. Kasparov l’a remis au goût du jour dans les années 1990.

b) Steinitz pousse le bouchon un peu loin. Ici, il fallait jouer 10…Cf6, par exemple, 11. Ca3 Cxe4 ! etc…

c) Tchigorine dans son élément, la fantaisie combinatoire.

Echecs

Tchigorine vient de jouer le fort 19. Cxf7 !! pour extraire le roi noir de sa cachette

L’intégralité de cet article est à retrouver sur Le Figaro sous la plume experte de Bertrand Guyard.

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