L’interview exclusive de Laurent Vérat est annoncée sur le site de la FFE !
Laurent Vérat, le Directeur général de la Fédération Française des Echecs et Directeur Technique National, s’est prêté, avec la franchise qui le caractérise, à une interview exclusive pour Chess & Strategy.
Ci-contre, Laurent Vérat (à gauche), en visite au Palais Beaumont de Pau, avant le Championnat de France 2008.
La FFE dans le cœur, Laurent a répondu sans ambages à toutes nos interrogations, à commencer bien sûr par les fameuses questions people. Moteur!
Bonjour Laurent, nous allons commencer par des questions personnelles pour mieux te connaître.
1 – Les questions « PEOPLE »
Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Laurent Vérat, 45 ans, 2 enfants (bientôt 3 !), journaliste de formation (radio et presse écrite). Au niveau échecs, Elo actuel 2328, et 3 (vieilles) normes de MI.
Quel est ton principal trait de caractère ?
Certainement l’opiniâtreté, ainsi qu’une tendance très marquée, à tort ou à raison, à faire confiance à mon intuition. Et j’ai la faiblesse de le penser, le sens de l’équité et de l’intérêt général.
Laurent apprend les échecs à sa fille Lilou
Quand tu ne joues pas aux échecs, quelle est ton occupation préférée ?
Je ne joue plus que quelques parties par an (par équipe), faute de temps. Par ailleurs, je suis également conseiller municipal à Elancourt (78), et j’ai quelques responsabilités au sein du Mouvement Démocrate.
Pour le reste, je lis beaucoup et je limite mes déplacements, car j’ai beaucoup de mal à être séparé de mes enfants !
Un petit faible pour le football et les bonnes bouffes avec les copains…
Quelle sont tes fonctions au sein de la FFE?
Une double fonction de Directeur Général et de DTN, très transversale, et aussi passionnante que contraignante. A quelques exceptions près, je suis amené à toucher un peu à tout au sein de la FFE.
2 – La Fédération Française des Echecs
Quelques chiffres pour présenter la FFE
Quel est le budget annuel ?
2M€, mais en réalité, il faut plutôt compter 1.6M€, car près de 400.000 € par an ne font que transiter par la FFE, pour être reversés aux Ligues.
Quelles sont, globalement, ses sources de financement et ses dépenses ?
Voici le « camembert » des dépenses, réalisé par rapport au précédent exercice comptable. On constate que, globalement, la structure des dépenses se répartit de la façon suivante, ¼ pour le fonctionnement institutionnel (organes de la FFE) – mais c’est un poste qui inclut à 80% la réversion aux Ligues – ¼ pour le siège fédéral, près de 30% pour les compétitions fédérales et le haut niveau (jeunes et adultes + formation), et 16% pour l’approvisionnement de la boutique.
Au niveau des recettes, les principaux postes sont les suivants :
870.000 € de licences, 300.000 € de fonds privés, 300.000 € pour l’ensemble des compétitions fédérales, 200.000 € pour le secteur commercial, 80.000 € pour « Echec & Mat », et 75.000 € du Ministère des Sports. Avec moins de 4% de fonds publics, nous sommes la Fédération sportive ne touchant pas de droits télé la moins soutenue par l’Etat.
Que peut-on dire si l’on compare le budget à celui d’autres fédérations, comme la Fédération Française de Tennis, par exemple ?
La comparaison n’a pas lieu d’être, le budget de la FFT doit excéder le demi-milliard d’Euros, pour un nombre de licenciés dépassant allègrement le million !
La FFE reste un petit poucet dans le monde du sport, qui souffre d’un manque de moyens matériel et humain criant. Seulement 9 équivalents plein temps pour gérer l’administration, les compétitions, ainsi que notre ambitieuse politique de développement, c’est bien peu. Par comparaison, le bridge dispose de 40 salariés…
Par ailleurs, conformément à ce que nous avions annoncé sur le mandat, le prix de la licence A n’a pas bougé depuis 2004, pas plus que celui de la licence B, laquelle coûte plus d’argent à la FFE qu’elle n’en rapporte !
Nous avons constaté des avancées significatives depuis l’élection de Jean-Claude Moingt à la tête de la Fédération (sponsoring, entrée du jeu à l’école…).
Quelles sont les réalisations de la FFE dont tu es le plus fier ?
Nous avions dit que nous trouverions de très beaux locaux, et des partenaires privés : j’ai été surpris que nous y parvenions en seulement 1 an et demi ! L’apport de BNP Paribas est inestimable, et pas seulement en termes de recettes financières. Quant aux locaux définitifs de la Commanderie des Templiers à Elancourt, je peux dire, pour en avoir conçu l’aménagement avec les architectes, qu’ils seront superbes. Les appels d’offres étaient très fastidieux (15 corps de métiers !), car nous travaillons sur du Monument Historique. Ils sont maintenant terminés, et le début des travaux est programmé pour mars 2009.
Je suis également content de constater que, dans l’ensemble, notre action est bien perçue. Y compris à l’étranger puisque, pour ne citer que de très récents exemples, Kasparov a salué les progrès des échecs français, tandis que le Président de l’Union Européenne des Echecs, Boris Kutin, confiait récemment à Jean-Claude Moingt qu’il était impressionné par les conditions que nous étions en mesure d’offrir à notre élite nationale. Les joueurs professionnels ne s’en rendent pas forcément compte, car ils ont toujours le sentiment qu’ils « méritent mieux » : c’est peut-être vrai dans l’absolu, mais la réalité économique du jeu d’échecs aujourd’hui est cruelle ; il n’y a que très, très peu de places pour les joueurs professionnels…
Nous essayons de toutes nos forces d’améliorer cela, ce qui passe obligatoirement par une reconnaissance institutionnelle accrue de notre discipline : à cet égard, notre participation à la « Journée du Sport » de la Présidence Française de l’Union Européenne, le 5 octobre sous la Tour Eiffel, n’est pas anodine.
C’est la toute première fois que la FFE était admise dans la cour des grandes fédérations sportives, et c’est un signe positif qui ne trompe pas, surtout lorsque l’on sait d’où l’on vient : en effet, nous savons maintenant qu’en 2004, le Ministre des Sports de l’époque, Jean-François Lamour, avait l’intention de retirer l’agrément sport aux échecs, et c’est grâce à son carnet d’adresses que le tout nouveau Président JC Moingt a trouvé qui faire intercéder en notre faveur : peut-être pas un coup gagnant à lui tout seul, mais en tout cas un coup important !
Les échecs français de l’élite ne se sont jamais aussi bien portés : nombre record de titrés français, dont 34 GMI, avec notamment Maxime Vachier-Lagrave et Etienne Bacrot à plus de 2700 Elo…
Oui, le niveau des échecs français a considérablement progressé depuis 30 ans, et nous sommes maintenant une nation qui compte. Cela dit, au risque d’en choquer certains, je souhaite que l’on ne regarde pas cette progression béatement. Lorsque nous sommes confrontés à des décideurs ou à des communicants, nous leurs servons effectivement le discours selon lequel la France est une grande nation des échecs, etc.…
« Et le meilleur français, il se situe où ? ». « Ben, ce sont Etienne Bacrot et Maxime Vachier-Lagrave, respectivement 28° et 29° mondial » (classement « live rating » au 28/10). On a beau insister, affirmer que ce sont de grands champions, qu’il n’y a que 2 joueurs occidentaux au-dessus d’eux (Carlsen et Adams), on sent bien que l’argument ne porte pas vraiment…
Alors, oui le niveau des échecs français est bon, mais la réalité est qu’une discipline ne présentant personne dans le Top 5 ou 10 mondial (c’est-à-dire un n°1 potentiel) aura toujours plus de difficultés à faire parler d’elle…
Paradoxe, le jeu d’échecs a un vrai problème de visibilité, pourquoi ?
Pourquoi y a-t-il si peu d’écho dans la presse nationale française du championnat du monde entre Anand et Kramnik ? La médiatisation de notre discipline est-elle en marche ? Ne faut-il pas renforcer la communication échiquéenne grand public sur le media Internet ?
Mon analyse de la situation n’a pas varié depuis 2004, et elle est même renforcée… Il n’y a qu’un seul media qui permettrait au jeu d’échecs de sortir de sa confidentialité, c’est la télévision. Le reste, y compris Internet, c’est bien, mais insignifiant par rapport à l’impact de la télé. C’est à mon sens le grand chantier des années à venir, qu’il nous faudra attaquer avec nos petits moyens, en faisant preuve d’ingéniosité.
Pour mieux situer l’enjeu tel que je le conçois, je vais vous livrer une petite confidence. Au début de l’année 2007, j’étais en contact avec la production de l’émission « Secret Story » sur TF1, qui était très intéressée pour intégrer un champion d’échecs. Un vrai problème éthique se posait alors : doit-on, au nom de la médiatisation des échecs, se fourvoyer dans une émission populaire de téléréalité ? Après avoir exposé le problème au Bureau Fédéral, nous avons considéré qu’il nous fallait faire preuve de cohérence, et que l’on ne pouvait pas, en même temps prétendre forcer les barrages pour passer à la télé, et en même temps, en refuser les codes. J’ai donc proposé à la production un test avec Vlad Tkachiev, champion d’Europe d’échecs en titre (ce qui aurait été son « secret »). Garçon charismatique et extraverti, il avait le profil idéal ; je suis convaincu qu’il aurait cartonné, et que les nombreux passages en prime time sur TF1 d’un tel « client », auraient plus fait pour démythifier le jeu d’échecs que des milliers d’articles « classiques » éparpillés dans la presse.
Le casting s’est merveilleusement bien passé, la production était enthousiaste, et à la dernière minute, TF1 a mis son veto, pour une seule et unique raison, mais rédhibitoire à leurs yeux : l’accent russe de Vlad était trop prononcé !
Je crois, mais nous n’y pouvons rien, que nous sommes passés à côté d’une grande opportunité…
Les jeunes à l’école pratiquent notre discipline de plus en plus. Quid du dispositif « Ecole ouverte » annoncé par Jean-Claude Moingt aux premiers états généraux de la FFE ?
C’est un dispositif intéressant, qui permet aux collégiens de participer à des animations échiquéennes sur leur temps de vacances, mais en pratique, il est malaisé de le mettre en œuvre, pour la seule raison qu’il est très difficile d’avoir un interlocuteur pertinent dans un collège : les autres intervenants, comme la Fédération Française de Rugby ou les pompiers, connaissent les mêmes difficultés.
Jordi Lopez, qui s’occupe du dossier à la FFE, multiplie les réunions avec ses homologues pour essayer de mettre sur pied une stratégie permettant d’accéder plus facilement aux collèges.
Comment franchir le palier hautement symbolique des 64.000 licenciés?
Les temps sont durs pour toutes les fédérations sportives… Le Ministère des Sports nous a confirmé que maintenir ses effectifs autour de 51-52.000 dans le contexte actuel, était déjà une belle réussite : c’est d’autant plus vrai que nous sommes les seuls à être soumis à la concurrence d’Internet, qui contribue grandement à piller nos clubs. Cela dit, nous avons déjà intrinsèquement plusieurs milliers de joueurs en plus, ceux qui bénéficient d’animations récurrentes dans les écoles sur une année scolaire entière, et qui n’ont pas la licence B. N’importe quel gamin qui fait une demi-heure de voile « en passant par là » paie une licence, et pas les joueurs d’échecs qui apprennent à l’école, c’est paradoxal !
Ne faut-il pas déployer une campagne de communication nationale de grande envergure ?
Oui, c’est une idée géniale… Mais il va nous falloir choisir entre 3 ou 4 emplois et une campagne de pub d’envergure nationale !
Bernard Laporte, secrétaire d’État chargé de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative
Les cabinets des ministres ouvrent-ils leurs portes à notre Fédération ?
Sans parler des entretiens impromptus à telle ou telle occasion, JC Moingt et moi-même avons déjà été reçus par le Ministre des Sports, Bernard Laporte, par l’ancien Ministre de l’Education Nationale, Gilles De Robien, par l’ancien Ministre de l’Intérieur François Baroin, par des personnalités politiques comme Jean-Pierre Chevènement, Dominique Strauss-Kahn, ou encore le Président du CNOSF, Henri Sérandour. Nous avons également eu des réunions de travail avec le Cabinet de Fadela Amara sur la problématique des banlieues, et avec les Directeurs de Cabinet de certains maires de grandes villes, comme Gérard Collomb à Lyon ou Jean-Marc Ayrault à Nantes.
Ce n’est pas encore le tapis rouge, mais disons que l’on a le sentiment d’être crédibles et écoutés… Tout ceci constitue un travail de lobbying incessant en faveur du jeu d’échecs, qui n’est peut-être pas très visible, mais qui pèse forcément.
Quid de l’obtention éventuelle du statut de fédération délégataire ? Dans le cas favorable, pourra-t-on voir l’émergence d’une ligue d’échecs professionnelle ?
La demande de délégation de service public sera déposée ce mois-ci auprès de Bernard Laporte. Ce sera une décision unilatérale du ministre, en fonction des avis qu’il aura recueillis auprès de ses services, de son Cabinet, et des acteurs du mouvement sportif. On verra bien si notre travail de sape aura porté ses fruits !
Quant à la Ligue professionnelle, elle sera rendue possible en théorie par l’octroi de cette délégation. Cela dit, je ne suis pas sûr que le monde des échecs français soit en mesure aujourd’hui de supporter les conséquences organisationnelles de la création d’une telle structure : il faudra y réfléchir à deux fois avant de se lancer…
3 – Des pistes à creuser ?
Echecs et Entreprises
Pourquoi l’image véhiculée par le jeu d’échecs reste-t-elle si absente du monde de l’entreprise, contrairement au jeu comme le go. Comment changer les choses ?
Nous ne devons pas fréquenter les mêmes entreprises, car je n’ai jamais rien vu sur le jeu de go !
Echecs et 3ème âge
Les échecs peuvent-ils être associés à de grandes causes nationales, comme la lutte contre la maladie d’Alzheimer… ?
Oui, absolument ! Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que nous ne connaissions aucun joueur d’échecs atteint d’Alzheimer ! Nous en avons donc conclu qu’il s’agissait là d’une piste intéressante en matière de santé publique… Et c’est ce que JC Moingt a eu l’occasion de dire un jour à Xavier Bertrand, lorsque ce dernier était Ministre de la Santé.
Nous n’avons pas eu de réponse au dossier qui a suivi, et pour être tout-à-fait honnête, comme nous ne pouvons pas être partout à la fois, nous n’avons pas encore relancé Roselyne Bachelot à ce sujet…
Laurent Vérat en interview avec Anatoly Karpov
Créer un tournoi majeur avec les super-GMI ?
Côté tournois, la France est une référence : Cappelle, le Cap d’Agde, le Corsica Masters… Est-il envisagé de créer un « Roland-Garros des échecs », à l’image de ce qui existe à l’étranger (Bienne, Sofia, Dortmund, Bilbao, Wijk aan Zee), avec des sponsors ?
Les grands tournois sont avant tout issus de la volonté d’un organisateur privé. Ce ne sont jamais les fédérations nationales qui impulsent le mouvement : elles l’accompagnent le cas échéant. C’est avant grand plaisir que la FFE soutiendra et accompagnera l’organisateur français qui présentera un dossier sérieux en ce sens…
Si chacun des licenciés voulait agir de concert avec la FFE pour le développement du jeu, que pourrait-il faire ?
Il est difficile de donner un conseil unique, les gens ont des statuts différents, certaines disparités géographiques sont importantes…
Je dirais simplement démocratiser le jeu, montrer son côté ludique, en le sortant des clubs et en l’amenant au contact des populations de non-joueurs. C’est par exemple ce que nous essayons de développer dans les quartiers sensibles, avec l’aide de certaines fondations, comme EDF ou BNP. Ce sont aussi les tentatives d’intégrer les grandes manifestations populaires, comme les « Nuits blanches » à Paris, un beau projet de 250 mètres linéaires de trottoir du Boulevard Haussmann livrés aux échecs le temps d’une nuit, mais malheureusement avorté en dernière minute.
Quelle est ta vision du jeu d’échecs en France dans 10 ans ?
Je ne serai probablement plus impliqué dans la FFE d’ici là : mes cycles professionnels ne dépassent pas 7 ou 8 ans !
Cela dit, je ne crois pas que l’ordinateur tuera le jeu d’échecs. Je ne crois pas non plus que les cadences classiques disparaîtront. Donc, je ne vois pas d’évolution fondamentale majeure à court ou moyen terme.
En revanche, j’ai l’espoir qu’au niveau international, une structure cohérente prenne en charge l’organisation du circuit professionnel et son marketing, et qu’au niveau français, nous soyons parvenus à sortir notre discipline de sa confidentialité.
Souhaites-tu ajouter des éléments à cet entretien ?
Oui, l’exercice de responsabilité n’est pas un exercice facile, surtout dans un milieu comme les échecs, qui a ses barons, ses fortes têtes, ses aboyeurs, ses procéduriers…
Mais si l’on s’appuie sur des valeurs essentielles, comme la préservation de l’intérêt général par rapport aux intérêts particuliers, ou l’impératif de cohérence, alors les arbitrages sont plus faciles…
Un grand MERCI Laurent pour ces éclairages. Gens Una Sumus!