La photo décrochée d’Evgeny Ruban

Il fut un champion d’échecs biélorusse maudit, gommé des registres, effacé des mémoires. Pour son alcoolisme, mais surtout pour son homosexualité.

Il fut un champion d'échecs biélorusse maudit, gommé des registres, effacé des mémoires. Pour son alcoolisme, mais surtout pour son homosexualité.

L’URSS l’expédia en camp de travail, il vécut et mourut dans la misère. Un joueur d’échecs qui atteint 2375 points au classement Elo de la FIDE.

En 1959, lors du championnat d’Urss des jeunes par équipe, Evgeny Ruban, âgé de 18 ans, jouait au 2e échiquier pour Minsk, en Biélorussie.

Malgré de bons résultats, il eut des ennuis avec l’encadrement. On l’accusait de «  violer le régime sportif  » et d’avoir une «  conduite individualiste  ». 

Gennadi Sosonko, qui jouait alors pour Leningrad, a expliqué que d’être ivre après une soirée suffisait pour être sévèrement sanctionné. Evgeny Ruban fut interdit de jouer aux échecs pour un an. Ce fut sa première sanction, mais pas sa dernière. 

Un bohème à Leningrad

En 1965, il s’installa à Leningrad et s’inscrivit à l’université pour étudier la philosophie. C’est également à ce moment que sa carrière de joueur d’échecs démarra réellement. Les six années qu’il allait passer dans cette ville furent les plus belles de sa vie. Et pourtant, elles furent très dures. Evgeny n’avait pas un kopeck. Il vivait dans une résidence pour étudiants et, après avoir payé son loyer de 32 roubles mensuels, il ne lui restait plus rien. Le peu qu’il gagnait provenait des compétitions échiquéennes. Dans les longs tournois soviétiques, on donnait des coupons de 2,5 roubles pour se nourrir. Evgeny les échangeait contre de l’argent. Il se contentait de yaourts et de pain. Et puis, il avait commencé à boire. En 1966, lors de la demi-finale du championnat d’Urss, il était ivre pendant les quatre premières rondes.

Il perdit ces quatre parties. Il se reprit, et à la fin, ne manqua que d’un demi-point la qualification pour la finale. En 1970, il obtint un diplôme de l’université de Leningrad. 

Condamné pour homosexualité

Cette même année, dans un parc, il eut une relation sexuelle avec un jeune homme. Des passants appelèrent la police. Lors du procès qui s’ensuivit, le jeune homme expliqua qu’il avait accepté 10 roubles car il avait besoin d’argent. En outre, il était sous l’emprise de la vodka. Il jura qu’il ne recommencerait jamais. Evgeny, de son côté, parla de l’homosexualité dans la Grèce antique, de Proust, de Wilde… Il fut condamné à être déporté quatre ans dans un camp de travail. 

Sa peine purgée, il revint à Minsk et il joua aux échecs. Entre-temps, le comité des Sports lui avait retiré son titre de maître. Sa mère vivait dans la misère, il n’avait aucune aide. En 1976, il remporta le championnat de la république de Biélorussie. Mais le comité des Sports décida que le titre devait revenir à Vladimir Veremeichik, qui occupait la 2e place. Explication  : «  Que croyez-vous  ? Vous voulez vraiment qu’un pédéraste soit le champion de notre république  ? Vous imaginez ce que tous penseront de nous  ?  » 

La fin d’un paria

Evgeny n’avait plus de titre, ni le droit de circuler à l’intérieur de l’Urss, ni de moyen pour subsister. Il n’arrivait pas à décrocher un travail et n’avait plus d’ami. Il n’était ni un bandit, ni un meurtrier, mais un paria. Alors, pour pouvoir s’acheter de l’alcool, il jouait en blitz (cadence de 5 minutes par partie)  ; il donnait des leçons d’échecs  ; il racontait sa triste vie pour manger un morceau et pour boire beaucoup. Il vivait avec sa mère dans un petit deux-pièces. 

Ceux qui croisèrent l’ancien champion à cette époque parlent de lui comme d’une épave. Brisé. En novembre 1997, alors qu’il était ivre, une voiture le percuta. Il mourut deux semaines plus tard. C’est le conducteur de la voiture qui paya son enterrement, sa mère ne pouvant en assumer les frais. Au club d’échecs de Minsk, depuis longtemps déjà, la photographie d’Evgeny Ruban avait été décrochée, et son nom effacé. 


Evgeny Ruban-F. Petrusha

Championnat de Biélorussie, 1964. Gambit dame.

1.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cc3 d5 4.cxd5 exd5 (la structure Carlsbad du gambit dame) 5.Dc2  (évite 5…Ff5.) 5…c6 6.Ff4 Fe7 7.e3 0–0 8.Fd3 Cbd7 9.Cf3 Te8 10.h3 Cf8 11.0–0–0 (le plan le plus ambitieux, les pions pourront être poussés face au roque ennemi.) 11…Cg6 12.Fh2 Fd6 13.Fxd6 Dxd6 14.g4 De7 15.Tdg1 (le maximum de forces se masse face au roi adverse.) 15…Fd7 16.g5 Ce4 17.h4 Cxc3 18.bxc3 ! ? (18.Dxc3 c5 19.dxc5 Tac8 avec une bonne initiative noire) 18…c5 19.h5 Cf8 20.Ce5 cxd4 21.exd4 Tec8 22.Rb2 Tc7 

(voir diagramme)

Evgeny Ruban-F. Petrusha

23.Fxh7+ ! (ce sacrifice thématique permet aux blancs d’ouvrir les lignes face au roi noir.) 23…Cxh7 24.g6 fxg6 (24…Cf6 25.gxf7+ Rf8 ((25…Rh8 26.Cg6+ Rh7 27.Cxe7++–)) 26.Cg6++–. Et sur : 24…Cf8 25.gxf7+ Rh8 26.Cg6+ Cxg6 27.hxg6+ Fh3 28.Txh3+ Dh4 29.Txh4#) 25.hxg6 Cf6 26.Cf7 (menace 27.Th8 mat.) 26…Rf8 27.Th8+ Cg8 28.Tgh1 ! (les noirs abandonnent. Après : 28…Df6 29.Txg8+ Re7 ((29…Rxg8 30.Th8#)) 30.Te1+ Fe6 31.Txa8+– 1–0


Nikolai Poleshchuk-Evgeny Ruban 

Tournoi de Minsk, 1996. Gambit dame.

1.d4 d5 2.c4 c6 3.Cc3 Cf6 4.Cf3 dxc4 5.Fg5 b5 6.a4 b4 7.Ca2 Da5 8.Fd2 e6 9.e3 Cbd7 10.Fxc4 Fe7 11.0–0 0–0 12.Db3 Tb8 13.Tfc1 a6 14.e4 (les blancs offrent un pion pour du jeu.) 14…Cxe4 15.Ff4 Fd6 16.Te1 Cec5 ! ? (16…Fxf4 17.Txe4 Fd6 était possible.) 17.De3 (17.dxc5 Fxf4 et le pion ç5 est très faible.) 17…Cb6 18.dxc5 Cxc4 19.Dd4 Fxf4 20.Dxf4 b3 21.Cc3 ? ! (21.Dxb8 bxa2 22.Txa2 Dxc5 23.Tc1 était meilleur pour les blancs.) 21…Tb4 22.Te4 Cxb2 23.Txb4 Cd3 ! 24.Dc4 Cxb4 25.Cd4 (25.Dxb3 Dxc5 avec deux pions d’avance) 25…Cd5 26.Ce4 b2 27.Tb1 Fd7 28.Cb3 Dc7 29.Dxa6 De5 30.Dd3 Tb8 31.a5 Cf4 32.Dc2 Dd5 ! 33.Cbd2 (33.Txb2 f5 !–+) 33…f5 34.Txb2 (34.Cc3 ? ? Dxg2#) 34…Tf8 ! 35.a6 fxe4 36.a7 e3 37.Cf3 e2 38.Ce1 Dxg2+ ! ! 39.Cxg2 Ch3+ (les blancs abandonnent avant le mat en trois coups : 40.Rh1 Cxf2+ 41.Rg1 Ch3+ 42.Rh1 Tf1#) 0–1

L’article complet dans le journal Options sous la plume experte d’Éric Birmingham

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