Lors de fouilles dans le sud de l’Allemagne, des archéologues ont mis au jour de rarissimes pièces de jeu d’échecs assorties datant du XIe ou XIIe siècle. Cette découverte pourrait bien éclairer la genèse du jeu d’échecs en Europe.
Des archéologues ont découvert un exceptionnel ensemble de pièces de jeu dans les ruines d’un château méconnu, dans le land de Bade-Wurtemberg, près de Reutlingen. (image prétexte) © iStock / Design Pics
Appelés jeu des rois ou roi des jeux, les échecs se sont répandus en Europe il y a plus de 1 000 ans. Toutefois, les premières pièces médiévales sont extrêmement rares. Le 3 juin, l’Université de Tübingen, le Bureau d’État pour la préservation des monuments de Baden-Württemberg (LAD) et l’Institut archéologique allemand (DAI) ont partagé leur récente découverte d’un exceptionnel ensemble de quelques pièces de jeu mis au jour dans les ruines de Burgstein, site d’un château méconnu situé dans le land de Bade-Wurtemberg, près de Reutlingen. En très bon état de conservation, les objets dateraient des XIe ou XIIe siècle et pourraient donner un aperçu du monde du jeu prisé de la noblesse à cette époque et nous en dire plus sur les origines des échecs européens.
Un jeu de cour en Occident
D’après les spécialistes, les échecs font leur première apparition en Inde autour du VIe siècle après J.-C. sous le nom de chaturanga. Après leur propagation dans la civilisation islamique, ils sont introduits par les routes commerciales depuis la Mer Noire vers la Scandinavie et la Russie autour de l’an 1 000 et se diffusent dans l’Occident chrétien par l’Espagne et la Sicile. Ainsi, le jeu est mentionné pour la première fois dans un texte en Europe en 1008. Du XIe au XIIIe siècle, les échecs deviennent un jeu de cour avant de gagner toutes les couches de la société occidentale.
Maître du Codex Manesse, Le Roi Otto IV de Brandenburg jouant aux échecs avec une femme, entre 1305-1340, Bibliothèque universitaire d’Heidelberg – Photo © Wikimedia Commons
Lors des fouilles du château, dont il ne reste que quelques traces archéologiques, les chercheurs ont notamment découvert un dé à six faces, quatre jetons en forme de fleurs et un cavalier représenté par un cheval. Sculptés dans du bois de cervidés, les éléments sont tous assortis. « La découverte d’une collection complète de jeux des XIe et XIIe siècles nous a complètement surpris, et la pièce de chevalier en forme de cheval est un véritable point fort », déclare Lukas Werther, archéologue à l’Institut archéologique allemand, dans un communiqué. Détaillé, le style des yeux et de la crinière de l’équidé de 4 cm de haut est typique des pièces d’échecs de haute qualité de cette période.
La pièce d’échecs découverte est un cavalier – Photo © Université de Tübingen
« La forme de base plus ou moins conique avec une seule tête triangulaire centrée prédomine, décrit Jonathan Scheschkewitz du Bureau d’État pour la Préservation des Monuments du Bade-Wurtemberg (LAD), contacté par Connaissance des Arts. Il y a des allusions à des oreilles ou à un visage dans cette tête de cheval. » Les dés ne faisaient pas partie du jeu d’échecs, ils étaient utilisés dans divers jeux de hasard. Les dés et les jetons en forme de fleur ont pu être associés au jeu du Tric Trac, similaire au backgammon actuel, selon le spécialiste. « Le jeu du moulin était très courant et était souvent joué avec des jetons comme celui en forme de fleur » , continue le spécialiste.
Pièce d’échecs, pièce de jeu et dés du XIe-XIIe siècle découverts lors d’une fouille archéologique en 2022 à Burgstein (Allemagne, district de Reutlingen) – Photo © Université de Tübingen
Une façon de joueur similaire entre le XIe siècle et aujourd’hui ?
« Ils gisaient sous les débris d’un mur où ils avaient été perdus ou cachés au Moyen Âge », explique Michael Kienzle, archéologue à l’Université de Tübingen. Leur ensevelissement sous les ruines a permis de conserver la surface des pièces. Ainsi les premières analyses en laboratoires révèlent de premiers éléments, comme des résidus de couleur rouge. « Au microscope, on peut observer un éclat typique dû au maintien et au déplacement des pièces », décrit Flavia Venditti, également archéologue à l’Université de Tübingen. D’après les spécialistes, le cavalier montre des traces d’usure similaires aux pièces utilisées actuellement, ce qui indiquerait que le cavalier était manipulé au XIe ou XIIe siècle tel qu’il l’est aujourd’hui, ce qui témoignerait d’une « étonnante continuité dans les règles du jeu ».
Vue du site du château de Burgstein, situé dans le land de Bade-Wurtemberg, près de Reutlingen – Photo © Université de Tübingen/David Schneider
Quelles personnes ont-elles pu jouer avec ces pièces il y a 1 000 ans ? « Au Moyen Âge, les échecs étaient l’une des sept compétences qu’un bon chevalier devait maîtriser. Il n’est donc pas surprenant que les découvertes connues proviennent principalement de châteaux », ajoute Jonathan Scheschkewitz. Avant le XIIIe siècle, les échecs étaient un passe-temps réservé aux nobles.
Pièce d’échecs et pièce de jeu en forme de fleur du XIe-XIIe siècle découverts à Burgstein (Allemagne, district de Reutlingen) – Photo © Université de Tübingen
Deux expositions sur les origines des jeux européens
Les experts examinent encore ces premiers témoignages de la culture des jeux de société en Europe, et notamment les résidus de peinture rouge retrouvés sur les jetons en forme de fleur. Ils espèrent ainsi obtenir davantage d’informations sur les loisirs de l’aristocratie médiévale et les racines du jeu d’échecs en Occident. L’ensemble de pièces de jeu est présenté pour la première fois au public dans l’exposition « Unearthed ! Knights and Castles in the Echaz Valley » à Pfullingen, jusqu’au 30 août. Il sera ensuite montré dans « THE hidden LÄND » à Stuttgart, du 13 septembre 2024 au 26 janvier 2025. Les deux événements permettront au public de (re) découvrir les origines des jeux européens, leur artisanat et leur place dans la vie quotidienne médiévale.
L’article complet dans Connaissance des arts