Grand maître international d’échecs depuis bientôt dix ans, la championne récemment naturalisée française est devenue un symbole du combat des femmes iraniennes.
Portrait de Mitra Hejazipour, championne de France d’échecs – Photo © Cécile Burban pour Le Temps
Ce n’est pas la première fois qu’elle raconte son histoire, et certainement pas la dernière, parce que c’est une leçon de courage qui ne se dilue pas avec les ans, parce que le cheveu rebelle des Iraniennes occupe une place tragique dans l’actualité depuis bien trop longtemps. Elle pourrait s’en lasser, mais c’est là un luxe qu’elle ne veut pas se permettre: «C’est parfois fatigant de se répéter, mais je sais que je dois le faire, explique-t-elle. Il existe assez peu de figures médiatiques dans les échecs féminins, et je pense que mon histoire, mon destin, ce que j’ai fait, ça peut aider.» Elle pourrait même parler de mission: «Oui, car j’en profite pour parler de toutes les femmes iraniennes. C’est normal, je dois juste le faire», répète-t-elle.
Mitra Hejazipour représentait l’Iran lors des Championnats du monde d’échecs en décembre 2019. Elle a alors décidé de concourir sans son hijab, pour protester contre la condition des femmes dans son pays. Sans rien ignorer de la caisse de résonance de son geste et de ses conséquences, avec un retour au pays devenu quasi impossible: «J’aurais pu essayer, mais il aurait fallu s’excuser en arrivant, sinon c’était coups de fouet et prison garantis. Les risques étaient vraiment grands à l’époque, il n’y avait pas encore toutes ces femmes que l’on voit actuellement enlever leur hijab», précise-t-elle.
Elle nous livre tout ça sans jamais buter sur les mots, d’un français quasi parfait quatre ans après ses premiers pas à Brest. Finistère. Elle aurait pu choisir n’importe quel pays, mais elle avait déjà ses marques en Bretagne, puisque membre du club d’échecs. Elle dit aussi que la liberté d’expression en France la toujours fascinée. Elle en a profité pour terminer ses études d’ingénieur, et la voilà désormais officiellement Française depuis mars dernier. Elle connait sa chance, très consciente d’avoir bénéficié d’une aide inespérée devant le niveau de complication des procédures administratives dans l’Hexagone.
Variables féministes
Elle sait sa chance, aussi, de pouvoir se promener sans tissu sur la tête. Le sujet du voile crispe un peu en France, et le prisme est bien différent selon le vécu et la situation géographique – on a ainsi entendu certaines féministes comparer un peu trop vite le patriarcat occidental avec le régime des mollahs ou celui des talibans. « Le combat féministe n’est pas le même ici et en Iran où on parle essentiellement des sujets basiques, des agressions horribles contre les femmes. Ici, les problèmes sont quand même plus faciles à affronter.
Je peux entendre le militantisme pour la liberté du port du voile, et si certaines veulent le porter, il faut effectivement les laisser tranquilles. Mais mon opposition est évidente. Pour moi, c’est quelque chose qui limite la liberté des lemmes et leur vie tout court. Les personnes qui se battent pour ça ne se rendent pas compte de ce qu’on peut vivre chez nous…
Elle avance quand même prudemment sur ces sujets-là, sans vouloir jouer les arrogantes ou les donneuses de leçon. Française, certes, mais elle n’a pas encore embrassé tous les défauts de son pays d’adoption et c’est tant mieux.
Elle a laissé toute une famille derrière elle : sa mère, sa sœur cadette, son père, qui l’a initiée aux échecs dès son plus jeune âge. Un régime ultra-répressif, aussi, sur lequel elle ne se fait plus aucune illusion. Elle place encore ses espoirs dans une opposition populaire de plus en plus forte.
« On en a marre d’être ennemi avec la terre entière à cause de ce régime, qui a toujours un problème avec Israël, la France ou les Etats-Unis, alors que le peuple iranien n’a jamais eu le moindre problème avec qui que ce soit. C’est juste une histoire de propagande, et une façon de nous isoler pour gouverner plus facilement… »
Les Championnats du monde – dans le viseur
Son intégration est parfaitement reste elle qui est désormais installée à Paris avec son compagnon – une autre forme d’exploit quand on connait la saturation hallucinante du marché immobilier dans la capitale française.
Professionnelle, elle peut à nouveau jouer aux échecs en compétition depuis sa naturalisation et en vivre convenablement. Au quotidien, elle est, parait-il, souvent perchée dans son monde à refaire ses parties et penser aux suivantes.
Elle est d’une douceur infinie dans la vraie vie, mais certaines photos prises en compétition lui montrent un regard d’une intensité à terrasser tous les obstacles. Ça aussi l’amuse.
« Je suis une combattante, mais quand même. Il faut que je travaille un peu là-dessus, ça ne devrait pas se voir à ce point-là. »
Mitra Hejazipour
Elle veut devenir championne du monde, a terme, une consécration qui doit d’abord passer par les Championnats d’Europe en avril prochain. Mais elle a déjà un poids mondial, quelque part. C’est elle que Narges Mohammadi, la militante iranienne emprisonnée à Téhéran, avait choisie pour représenter le monde du sport à Oslo, en décembre dernier lors de la remise du Prix Nobel de la paix. Son combat est loin d’être terminé.
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