Le joueur d’échecs de Stefan Zweig

Interprété par un magistral Gilbert Ponté, la pièce de théâtre est à voir en ce moment à Paris

Une métaphore percutante du totalitarisme. Seul en scène dans la petite cave aux pierres apparentes de l’Essaïon, Gilbert Ponté porte avec intensité et intelligence ce texte exceptionnel.

Seul en scène dans la petite cave aux pierres apparentes de l’Essaïon, Gilbert Ponté porte avec intensité et intelligence ce texte exceptionnel.

Ce texte fort, Gilbert Ponté le fait entendre, sans autre artifice que le jeu, avec clarté… ll n’en fait pas moins percevoir l’intensité douloureuse de ce Joueur d’échecs et la résonance qu’on peut lui trouver aujourd’hui.

Considéré comme un chef-d’œuvre, Le Joueur d’échecs est le dernier livre écrit par Stefan Zweig et publié de manière posthume. L’écrivain autrichien, victime du nazisme du fait de ses origines juives, a vu ses livres brûlés dans des autodafés et a été l’objet d’un ostracisme violent.

Il s’est exilé d’abord en Angleterre puis au Brésil où, désespéré de la situation, il se suicide en 1942 pour ne pas être témoin de l’agonie de l’Europe. Isolé avec sa secrétaire et compagne Lotte Altmann près de Rio de Janeiro, Zweig souffrait beaucoup de sa solitude et pour ne pas devenir fou, jouait aux échecs toute la journée.

Le narrateur du récit est passager sur un paquebot qui le conduit à Buenos Aires. Il y rencontre un jeune prodige de 20 ans, champion mondial des échecs, Mirko Czentovic qui l’intrigue et l’exaspère par son arrogance et sa fatuité. Une partie d’échecs s’organise dans le fumoir du bateau entre un Américain et Czentovic, tellement suffisant qu’il propose de jouer seul contre toute l’assistance réunie.

Tout va bien jusqu’à ce que la situation bascule à l’occasion de l’intervention d’un mystérieux inconnu.

Après avoir présenté l’histoire du Hongrois Czentovic et mit en scène la partie d’échecs collective, Zweig ouvre une longue digression. L’inconnu se confie au narrateur. Arrêté par les nazis, le docteur B a été mis à l’isolement dans une chambre d’hôtel vide hormis le mobilier essentiel, et soumis à des interrogatoires quotidiens. Une forme subtile de torture psychologique par laquelle le prisonnier finit toujours par s’effondrer et avouer tout ce qu’on veut.

Le docteur B se sent devenir fou jusqu’à ce que le hasard lui permette de subtiliser un petit livre qui contient 150 parties d’échecs. L’apprentissage intensif de ce jeu stratégique va le sauver de la folie mais le conduire à l’hôpital. Depuis il s’est juré de ne plus jamais jouer, mais voilà que ce démon le reprend pour le meilleur et pour le pire.

Le champion Czentovic est un monomaniaque brillant doté d’un QI de poisson rouge alors que le docteur est un homme fin et intelligent. Leur affrontement sur le plateau de jeu est le vrai sujet, métaphore du totalitarisme aveugle contre la raison éclairée. Le Joueur d’échecs conjugue l’actualité de la guerre et la montée inquiétante de la machine de guerre du fascisme avec le thème de la folie et des pouvoirs de l’inconscient cher à l’auteur.

Le Joueur d’échecs est à lire dans la nouvelle traduction de Jean-Philippe Toussaint

     

Seul en scène dans la petite cave aux pierres apparentes de l’Essaïon, Gilbert Ponté porte avec intensité et intelligence ce texte exceptionnel. On peut juger l’expressivité de son jeu parfois un peu trop appuyée, mais en conteur de talent, il sait ménager le suspens, captiver le public à l’écoute de ce récit plein de rebondissements et de nombreux « événements inattendus », signalés comme tels par l’auteur.

Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig. Traduction Gilbert Ponté. Avec Gilbert Ponté. Lumières, Antoine Le Gallo. A l’Essaïon, les lundis et mardis à 19h15, jusqu’au 7 février 2024. Durée : 1h10.
www.essaion-theatre.com

L’intégralité de cet article est à retrouver sur Web Théâtre sous la plume de Corinne Denailles.

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