En épilogue du 16e Open d’échecs de Villard-de-Lans (Isère), la chronique n°3 in live de Jacques GIMARD, « pousseur de bois », persévérant, en cure de sevrage. Revoir l’épisode n°2
« JE PERSISTE DONC JE SIGNE »
Au lendemain d’un tournoi d’échecs, le miroir nous appelle, comme un besoin irrépressible de « se regarder dans la glace », au double sens de l’expression.
L’humeur est parfois à la gueule de bois. Rien de plus normal, à vrai dire, pour un pousseur de bois. Bon gré mal gré, il faut reprendre goût à une « vie normale » — hors de l’échiquier — tout en regagnant l’estime de soi, sans trop ruminer les fameuses, et non moins infâmantes, parties-perdues-dans-une-position-gagnante. Ce 16e Open de Villard-de-Lans, comme tout autre joute échiquéenne, réveille le sempiternel serment du pousseur de bois : mieux s’entraîner, mieux s’affûter, mieux s’exercer pour la prochaine fois. Car il y a toujours une prochaine fois pour un classement ELO cabossé !
Ainsi se nourrit la chess-addiction : le plus beau tournoi d’échecs, n’est-ce pas le prochain, celui où nous nous promettons de mieux jouer ? Alors moi aussi, je persiste donc je signe. Oui, dès la rentrée, je promets de jouer plus et mieux pour me préparer au 17e Open de Villard-de-Lans.
Bonne résolution sans langue de bois. Quand bien même le bois est partout présent dans la posture épistémologique du pousseur de bois.
Faire feu de tout bois
Côté ambition, le pousseur de bois doit puiser les meilleures ressources de son tempérament. Oublier craintes et rétentions. « Montrer de quel bois il se chauffe » : garder ou prendre l’initiative, et ne rien lâcher. « Faire feu de tout bois » : saisir l’opportunité qu’offrent colonnes ou diagonales ouvertes, cases délaissées ou faibles, pièces inactives et pions isolés.
Patient, persévérant, vigilant, le joueur d’échecs ne doit jamais oublier que « le bois tordu fait le feu droit » : des moyens détournés, au fil d’une combinaison savamment dissimulée, peuvent construire une victoire bien mieux que l’acharnement périlleux à vouloir « forcer le gain à tout prix ».
Pour le cas où l’inspiration viendrait soudain à manquer, sachons qu’il est vain et un rien pathétique de « toucher du bois ». Inutile de caresser gris-gris ou porte-bonheur : à quoi bon vouloir conjurer le mauvais sort dans un jeu où le hasard n’a pas sa place ? Abordons alors le noble jeu à la mesure de son exigence. Acceptons de nous en prendre qu’à nous-mêmes face aux défaillances ou contre-performances : ne « jamais casser du bois sur le dos de quelqu’un », avec la décence de ne point nous avouer « malheureux comme le bois dont on fait le gibet ».
Osons alors « mettre le doigt entre l’arbre et l’écorce », et laissons notre esprit s’aventurer sur l’espace complexe de l’échiquier où pièces blanches et pièces noires rivalisent de ruse humaine…
Faire coin du même bois
Côté prévention, le pousseur de bois doit rester fidèle à sa réputation : « avoir une tête de bois », plus persévérante que têtue, plus déterminée qu’obstinée, pour savoir laisser place à l’analyse froide et sereine, dénuée de fougue et de passion.
Inconcevable alors de s’inscrire à un tournoi comme si « on va au bois sans cognée » : impossible d’espérer un bon résultat sans se donner les moyens d’y parvenir. Aux échecs comme ailleurs, pas de résultat sans travail. Et pas de bon travail sans plaisir de jouer ! Transposons alors sur l’échiquier « l’art poétique » de l’ami Nicolas (Boileau) : ce qui se conçoit bien, se joue clairement, et les coups arrivent aisément.
Et n’oublions jamais la consigne limpide du génial Paul (Morphy) : « aide tes pièces, et tes pièces t’aideront ! »
Le coup prématuré, imprécis, inutile, voilà l’ennemi. Et pour s’en prémunir, une seule question à se poser : en quoi mon coup est-il utile ? Pour améliorer ma position ou pour détériorer celle de mon adversaire. Bref, oublions les coups dénués d’efficacité. Parce que jouer un coup faible, c’est comme « poser un cautère sur une jambe de bois » !
L’analyse des parties perdues, — ô combien toujours plus instructive que celle des parties gagnées — nous apprend à identifier nos faiblesses, à ajuster notre répertoire d’ouvertures, à ne pas reproduire les mêmes erreurs. Parce qu’un vrai pousseur de bois doit savoir « faire coin du même bois » : réparer ou améliorer ce que nous avons déjà plus ou moins bien façonné.
Ne jamais juger du bois par l’écorce
Côté recommandation, rappelons la conduite à tenir, en toutes circonstances, au cours d’une partie : « ne jamais juger du bois par l’écorce », — ne pas jauger l’adversaire sur sa mine ou selon ses mimiques —. Sage précaution pour « ne pas recevoir une volée de bois vert », celle que préfigure bien souvent une défaite méritée.
Qu’importe, à dire vrai, l’issue d’une partie d’échecs. Gagnant ou perdant, un vrai joueur d’échecs, gentleman du noble jeu, est « du bois dont on fait les flûtes » : intransigeant avec lui-même, bienveillant à l’endroit de son adversaire. Seule supplique qui ne souffre nulle exception : un vrai pousseur de bois joue aux échecs avec des pièces en bois. Sacrilège serait de lui imposer des pièces en plastique made in China. Parce que le noble de jeu est avant tout une névrose de xylophile. Tout y est bois…
En action comme en dictons. Une histoire de bois entre pousseurs de bois. BRAVO et MERCI à l’Open de Villard-de-Lans de faire honneur au vrai jeu d’échecs, avec pièces en bois ! Voilà pourquoi, en proclamation de ce bon goût, oui, je persiste donc je signe.
Pour en savoir plus : Le site officiel – Les résultats