Le célèbre automate joueur d’échecs

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Le magazine Slate vient de traduire un bel article sur les échecs d’Ella Morton sur l’automate joueur d’échecs du XVIIIe siècle.

Cet automate joueur d’échecs soulevait des questions sur l’intelligence artificielle dès le XVIIIe siècle - Photo © Marcin Wichary via Wikimedia Commons

La reconstitution du Turc. Cet automate joueur d’échecs soulevait des questions sur l’intelligence artificielle dès le XVIIIe siècle – Photo © Marcin Wichary via Wikimedia Commons

Cette machine qui jouait (très bien et avec subtilité) aux échecs contre des humains a soulevé des questions sur la nature de l’automatisation. Si les mises en garde contre les dangers de la course aux armes à intelligence artificielle font les gros titres ces derniers temps, les débats autour des possibilités offertes par l’IA font rage depuis les années soixante-dix. Les années 1770.

Son inventeur le baron Wolfgang von Kempelen

À l’aube de cette décennie, un inventeur du nom de Wolfgang von Kempelen présenta à Vienne sa dernière création: un automate qui jouait aux échecs, fabriqué pour l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg. D’abord appelée l’automate joueur d’échecs puis le Turc mécanique –ou simplement le Turc–, cette machine était constituée d’un homme mécanique vêtu d’un peignoir et d’un turban, assis devant un petit meuble en bois surmonté d’un échiquier. Le Turc était supposé être capable de jouer aux échecs avec n’importe quel adversaire assez audacieux pour s’y risquer.

À la cour de Vienne en 1770, von Kempelen commença sa démonstration des merveilles du Turc en ouvrant les portes et les tiroirs du placard et en promenant une bougie à l’intérieur pour l’éclairer. Apparaissaient alors des rouages, des engrenages et autres mécanismes d’horlogerie. Après avoir refermé le meuble, von Kempelen invitait un volontaire à affronter le Turc.

Au début de la partie, le Turc commençait par tourner la tête à droite et à gauche pour regarder l’échiquier, avant de prendre une décision pour son premier mouvement. Son bras gauche se projetait en avant, les doigts s’ouvraient, il saisissait une pièce et la déplaçait jusqu’à une autre case, où il la lâchait. Jusque-là, rien de bien impressionnant –à l’époque, les automates sous forme d’animaux mécaniques et d’humanoïdes expressifs faisaient le bonheur des têtes couronnées comme de la plèbe. Jacques de Vaucanson, l’un des plus éminents fabricants d’automates, avait non seulement créé le Canard digérateur –qui tortillait du bec, cancanait et excrétait les boulettes qu’on lui faisait avaler– mais également le Joueur de flûte, un automate capable, comme le raconte Tom Standage dans The Turk, «d’imiter presque toutes les subtilités de la respiration et de l’expression musicale d’un joueur de flûte humain».

Le fonctionnement du bras du Turc, tel que l’imaginait Joseph Racknitz | via Wikimedia Commons (domaine public)

Le fonctionnement du bras du Turc, tel que l’imaginait Joseph Racknitz | via Wikimedia Commons (domaine public)

La triche aux échecs était punie sur le champ

Comparé à ces simulacres magistraux, le Turc, avec son visage inexpressif en bois sculpté et ses mouvements de bras saccadés, semblait à première vue un objet bien inférieur. Mais alors venait le reste de la partie d’échecs. Le Turc était bon. Vraiment bon. Et il n’était pas juste doué pour réaliser un mouvement répétitif. L’automate réagissait avec subtilité aux comportements imprévisibles des humains. Cette machine semblait opérer de façon autonome, guidée par sa propre rationalité et sa raison. Si l’adversaire humain essayait de tricher, comme le fit Napoléon lorsqu’il affronta la machine en 1809, le Turc remettait le pion à sa place et, après plusieurs tentatives de triche, balayait l’échiquier du bras et envoyait valser toutes les pièces.

Le truc: un opérateur secret

Bien sûr, il fallait bien qu’il y ait un truc… Mais la nature de l’illusion resta insaisissable pendant plusieurs décennies. Après la démonstration de 1770, qui fascina Marie-Thérèse et sa suite, von Kempelen, plus ingénieur qu’artiste, mit tranquillement le Turc au placard. Plus personne ne s’en occupa jusqu’à la mort de Marie-Thérèse, lorsque son fils et royal successeur, Joseph II, se rappela son existence et demanda à von Kempelen de le ressusciter. En 1783, von Kempelen emmena le Turc en tournée à Paris où il stupéfia une nouvelle fois le public –notamment un certain Américain amateur d’échecs du nom de Benjamin Franklin.

Des tournées en Angleterre et en Allemagne eurent lieu l’année suivante. On se mit alors à voir publier des spéculations sur le mode de fonctionnement du Turc. Certains, tel l’auteur britannique Philip Thicknesse, s’indignaient que l’on puisse croire que le Turc était une création purement mécanique au jeu libre de toute influence humaine. «Qu’un AUTOMATE puisse être amené à déplacer correctement les pièces d’échec, tel un joueur pugnace, en réaction au jeu précédent d’un inconnu qui s’attache à jouer contre lui est PARFAITEMENT IMPOSSIBLE», écrivit Thicknesse dans un pamphlet outré et passionné publié en 1784 (les majuscules débordantes sont de lui.)

Se pouvait-il qu’il y eût un tout petit homme à l’intérieur? C’était l’avis de Racknitz en tout cas | via Wikimedia Commons (domaine public)

Se pouvait-il qu’il y eût un tout petit homme à l’intérieur? C’était l’avis de Racknitz en tout cas | via Wikimedia Commons (domaine public)

Pour en savoir plus : L’article du Magazine Slate

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