Nous sommes en 1978 à Baguio City aux Philippines. S’y déroule le championnat du monde d’échecs entre Anatoly Karpov (photo ci-contre) et Victor Kortchnoy.
Au cours de la dixième partie, dans une ouverture archi-connue, Anatoly Karpov, avec les blancs, sacrifie son cavalier au 11ème coup! Face à cette invention géniale 11.Cg5, on comprend aisément que Kortchnoy soit resté médusé pendant 43 minutes. Après la partie, il déclara dans Chess Life and Review: « Ce coup est d’une espèce que l’on ne rencontre qu’une fois par siècle ». Cette partie s’est jouée le jour de mon 15ème anniversaire et je l’ai reçue comme un cadeau de la créativité aux échecs. Je vous l’offre à mon tour…
1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 a6 4. Fa4 Cf6 5. O-O Cxe4 6. d4 b5 7. Fb3 d5 8. dxe5 Fe6 9. Cbd2 Cc5 10. c3 d4 11. Cg5!! Nouveauté théorique
La position après cet éclat : 11. Cf3-g5 est celle-ci :
Voici les réactions que ce sacrifice de cavalier a suscitées dans un certain nombre de publications parues jusqu’à présent :
Denis Allix (dans un livre édité par l’indispensable Librairie St-Germain) : « 𝐎𝐧 𝐜𝐨𝐦𝐩𝐫𝐞𝐧𝐝 𝐚𝐢𝐬𝐞́𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐊𝐨𝐫𝐭𝐜𝐡𝐧𝐨𝐢̈ 𝐬𝐨𝐢𝐭 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞́ 𝐦𝐞́𝐝𝐮𝐬𝐞́ 𝐩𝐞𝐧𝐝𝐚𝐧𝐭 𝐩𝐥𝐮𝐬 𝐝𝐞 𝟒𝟑 𝐦𝐧 … Le cavalier est sûrement et rigoureusement imprenable, car après 11. …Dxg5? 12. Df3! Rd7 (forcé) 13. çxd4, la menace d’installation des blancs (Ce4) doit conduire et entraîner les noirs dans un désastre tactique qu’on devine sans peine. »
Jacques Negro (Hachette) : « Un coup qui éclate comme une bombe. Un sacrifice d’une figure entière à ce stade de l’ouverture dans une variante connue est rarissime… L’acceptation du sacrifice était trop dangereuse : 11… Dxg5 : 12. Df3!, Rd7 (si 12…. Fd7 13. Fxf7+ Re7 14. Fd5, Cxé5; 15. Dé2 d3; 16. De1, Te8 ; 17. 14, et les blancs regagnent la pièce en conservant une forte attaque)
13. Fd5 ! et si 13. … Cxe5 14. Fxe6 + et 15. Dxa8, les Noirs n’ont pas une compensation suffisante pour la qualité. »
Bent Larsen (Bruguera) : « J’ai été l’un des nombreux auteurs qui ont écrit au sujet de cette ouverture sans apercevoir ce coup. Est-il caractéristique de Tal ? Oh ! non, car il ne s’agit pas d’un obscur sacrifice de pièce.
J. H. Delamarre (Echecs Hebdo) : « Les Noirs semblent très mal après 11. … Dxg5 ; 12. Df3, Rd7 13. Fd5! »
Nicolas Giffard (auteur du magnifique ouvrage la Fabuleuse Histoire des champions d’échecs) poursuit l’analyse :
« 13. Fd5, Fxd5! ; 14. Dxd5+, Fd6 et la position n’a rien de clair ».
O’Kelly (Europe Echecs) : « 11. Cg5! Un coup brillant qui en fin de compte a probablement été suggéré par Tal dont on reconnaît le style… La capture du Cavalier serait une très mauvaise affaire.
Tal lui-même prétend dans la revue « 64 » que l’on ne peut prendre le cavalier à cause de 11. … Dxg5 ; 12. Df3, Rd7 ; 13. Fd5… un commentaire péremptoire et trop bref pour le père putatif du bébé.
Roman Toran (Ed. Ricardo Aguilera) : « Nouveauté théorique préparée par Karpov et sa puissante équipe auxiliaire (Tal, Vasioukov, Balashov, Zaitzev). Après 11. … Dxg5 12. Df3 Fd7 13. Dxf7+ Rd8 14. e6 ; si 12. … Rd7 13. FxF, CxF (ou fxF 14. çxd) 14. Da5+ Fd6 15. C¢4 Dh5 16. Cb6 + bxç 17. DxF ont une puissante attaque en échange de la pièce ».
Raymond Keene (Batsford) : « Dès que 11. Cg5 fut joué, la délégation soviétique échangea des clins d’œil de connivence et alla au bar. Kortchnoï fut abandonné à l’échiquier brûlant pour réfléchir et trouver s’il s’agissait d’un coup brillant ou bien d’un bluff. Après 43 mn de réflexion il décida de refuser le cadeau russe. »
Rejouez la partie qui s’est soldée par la nulle
Plus tard, brisant avec tout ce qui avait été dit et écrit, Kortchnoï a assuré qu’il fallait prendre le cavalier, puis jouer 12. 0-0-0 ! Votre avis ?