La chasse au roi est le jeu favori des joueurs offensifs. Cette chronique de Bertrand Guyard tente de percer quelques-uns des secrets des maîtres de l’initiative.
Le mat, la chasse au roi est le sport préféré des joueurs offensifs. Il fallait, chers amis des 64 cases, commencer à s’intéresser aux méthodes utilisées par les spécialistes de l’attaque directe sur le roi. Selon le Hollandais Max Euwe, Ve champion du monde d’échecs et pédagogue le plus talentueux parmi les maîtres de l’échiquier, l’agression royale est la phase la plus passionnante de la lutte. Il la compare à un sprint final durant lequel toutes les ressources se doivent d’être utilisées.
On croit souvent qu’il suffit de jeter son dévolu sur le roi adverse pour le prendre dans ses filets. Rien n’est plus faux. Le mat, objectif ultime de l’attaquant, n’arrive qu’après une préparation adéquate. Trois critères indispensables doivent se loger dans l’esprit du régicide: l’avance de développement, l’avantage au centre et enfin l’avantage à l’aile roi.
Depuis Morphy, on sait combien le retard de développement peut se révéler fatal. Les joueurs modernes connaissent cette règle mais parfois l’oublie pour, par exemple, aller gober un pion indigeste. Donc répétons encore une fois la formule du champion américain: «Aidez vos pièces, elles vous aideront!».
L’avantage au centre possède des contours plus subtils à définir. Disons quand même pour simplifier que la chaîne de pions d4-e5, bien soutenue, interdit à un cavalier de se tenir en f6 (le meilleur emplacement) pour protéger son roi. Avec les blancs cette configuration est le souvent le premier signe d’un déchaînement contre le roi noir.
Enfin l’avantage à l’aile roi est évidemment le plus facile à comprendre et aussi naturel à exploiter. Une faiblesse dans la structure comme des cases affaiblies sur une même couleur ou encore une pointe en h6, qui tend la main à rupture en g5, font partie des stigmates les plus communs. Lorsqu’on repère ce type de défaut, il devient nécessaire de déclencher la chasse à courre. Dans ces cas-là la vitesse d’exécution devient primordiale. L’esprit doit prendre le dessus sur le matérialisme mesquin. Le scalp du roi ennemi autorise alors tous les sacrifices.
L’Ours de Saint-Pétersbourg et le maître de New-York
Certains grands maîtres ont montré un penchant irrésistible pour le mat. Dans ce domaine deux champions ont particulièrement brillé. Le premier se nomme Boris Vassilievitch Spassky et a été le Xe champion du monde échecs. Il a été surnommé l’Ours de Saint-Pétersbourg, parce que ses attaques faussement patelines, parfaitement camouflées, ressemblent à celles du puissant plantigrade. Le second se nommait Nicolas Rossolimo (1910-1975), était une figure de Greenwich Village à New York. Il a réussi l’exploit de conquérir les titres de champion de Paris, de France et des États-Unis. Pour lui, le gain d’un simple temps était déjà le signal de l’attaque. Et après, la brillance de ses coups faisait le reste.
Il ne vous reste plus qu’à vous placer devant un échiquier pour vous délecter des deux prix de beauté joués par les formidables bretteurs Spassky et Rossolimo, reproduits et analysés ci-après. Et comme souvent, ils vont titiller les cases f7 et h7 de leur adversaire.
Boris Spassky – Günther Capelan, Solingen (1974), défense sicilienne variante Kan
1.e4 c5 2.Cf3 e6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 a6 5.Fd3 Fc5 6.Cb3 Fa7 7.Cc3 Cc6 8.De2 d6 9.Fe3 Fxe3?!, l’Ours de Saint-Peterbourg possède l’art d’endormir ses adversaires qui souvent ne décèlent pas ses intentions agressives. Il était déjà important pour Capelan de préparer une contre-attaque à l’aile dame en jouant 9…b5!… 10.Dxe3 Cf6 11.0–0–0 0–0 12.f4 Dc7 13.Thg1! Spassky, maître incontesté de l’initiative prépare l’agression du roi noir apparemment sans se presser. Voir le diagramme ci-après…
13.Thg1 ! Spassky prépare g4! pour chasser le Cf6
Td8?!, Capelan ne voit décidément pas s’amonceler les lourds nuages au-dessus de la tête de son monarque. Nécessaire était 13…b5! 14.g4 b4 15.g5 Cd7 16.Ca4 Fb7!… 14.g4! d5 15.e5! d4 16.Df2 dxc3 17.exf6 Cb4 18.Fxh7+!!, le coup de patte du Xe champion du monde d’échecs de l’histoire. À partir de cet instant, l’Ours russe, faussement patelin, va montrer toute sa férocité. Seul le roi noir l’intéresse. Voir l’échiquier ci-dessous…
Spassky a réussi à camoufler parfaitement le sacrifice rituel 18.Fxh7+!!
18…Rxh7 19.Dh4+ Rg8 20.Dg5! Txd1+ 21.Txd1 cxb2+ 22.Rxb2 Dxc2+ 23.Ra3! Dg6, les noirs sont perdus dans toutes les variante: si 23…Dxa2+ 24.Rxb4; ou encore 23…g6? 24.Td8+ Rh7 25.Dh4 mat…
24.Td8+ Rh7 25.Dh4+ Dh6 26.fxg7!!, la touche finale qui aura raison de la résistance noire… Voir l’échiquier ci-après…
Spassky vient de jouer le délicieux et cruel 26.fxg7!!
26…Rxg7, forcé car si 26…Dxh4 27.g8D+! Rh6 28.Dh8+ Rg6 29.Tg8 mat… 27.Tg8+! Rxg8 28.Dxh6 Cc6 29.Cc5 Ce7 30.Ce4 Cd5 31.g5! 1-0 L’échec du cavalier en f6 est mortel. Dans cette partie d’échecs, on admire le style offensif de Spassky dans toute sa splendeur: un peu de Capablanca pour l’élégance et un zest d’Alekhine pour la férocité des coups d’attaque.
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