Une chronique épique de Jacques Gimard, amateur plébéien du noble jeu [Episode 1/5 : la folle ambition face à une maudite équation]
« Elle est vraiment rassurante cette Maison de la Chimie ». Je ne sais plus pourquoi cette idée baroque est venue soudain me taquiner l’esprit, le 9 juin 2016 aux alentours de 13 heures, en arpentant la rue Saint-Dominique en ce jeudi printanier. Premier jour du mois où le soleil se montre si généreux sur la capitale. Une aubaine que je sacrifie sans état d’âme pour assister au grand événement échiquéen de l’année : le PARIS GRAND CHESS TOUR. L’équivalent d’un tournoi du Grand Chelem, mutatis mutandis, réunissant l’élite mondial du jeu d’échecs : dix Grands Maîtres Internationaux, champions du monde compris.
1 — Folle ambition face à une maudite équation
Oui, quel meilleur endroit pour un tournoi d’excellence que ce « Temple de la science exacte » tout à la gloire de la raideur cartésienne, comme le suggère son intérieur austère, dans la pure tradition soviétique du jeu d’échecs. Vite oubliée cette suspicion d’archaïsme. Grâce aux efforts de sponsors généreux, le decorum du tournoi est à la hauteur de l’événement : un vrai plan de communication, une charte graphique sobre et moderne, un agréable dispositif d’accueil, une mise en scène intelligente et bien rythmée, une combinaison optimale des technologies modernes. Tous les ingrédients pour exhausser la promotion du noble jeu à un niveau rarement atteint en France. Pari réussi pour cette folle ambition, libérant enfin le jeu d’échecs de sa maudite équation : comment rendre médiatique un jeu accessible aux seuls initiés ?
Éternel défi que de rendre spectaculaire l’intrigue qui se joue l’échiquier. À l’endroit de la mise en scène, le noble jeu cumule les handicaps, il est vrai. Le geste est lent et monotone : comment pourrait-il être télégénique ? Peu visibles les pièces de bois, minimaliste le décor : où puiser des émotions esthétiques ? Assez hermétique par ailleurs le scenario d’une partie, puisque seuls les amateurs éclairés peuvent vraiment saisir la subtilité des combinaisons : le suspense ne serait-il pas réservé à une petite élite ?
Avec le PARIS GRAND CHESS TOUR, ce concert d’objections perd soudain toute sa pertinence. Les organisateurs ont tiré le meilleur parti de chacune d’elle, pour que le plomb se transforme en or, jusqu’à ce que cette sévère Maison de la Chimie s’érige en éphémère Temple de l’Alchimie… Sans grimoire ni alambique !
En fait de formule magique, ce Temple a fait œuvre syncrétique en opérant la fusion de trois représentations. Spectacle sur écran géant avec la projection simultanée des cinq parties en cours. Spectacle sur la scène permettant de traquer les gestes et mimiques des grands maîtres. Spectacle dans la salle avec les spectateurs, — celui-là improvisé et imprévisible —, offrant une troublante immersion ethnologique dans l’étrange tribu des joueurs amateurs. Trois spectacles, trois dimensions, trois ambiances rivalisant de moments cocasses…
Pour en savoir plus : Paris Grand Chess Tour 2016