Interview exclusive de Jean-Claude Moingt

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Echecs : Jean-Claude Moingt - Photo 2011 © D.P.

En juin 2011, et comme il l’avait préalablement annoncé en février 2010, c’est par un communiqué officiel que le Président de la Fédération Française des Echecs, Jean-Claude Moingt, confirmait la fin anticipée de son mandat par choix personnel.

Aujourd’hui, c’est en connaisseur averti des échecs que Jean-Claude nous fait l’amitié de prendre la parole après 1 an et demi de silence, en exclusivité pour les lecteurs de Chess & Strategy. Nous l’en remercions.

Jean-Claude Moingt, indéniablement le « Monsieur Plus » des échecs français.

Après 6 ans et demi passés à la tête de la FFE (de janvier 2005 à juin 2011), le bilan de ce passionné du noble jeu est remarquable. Développement du nombre de licenciés à la Fédération Française des Echecs, sponsoring BNP-Paribas, signature de la convention avec le ministère de l’éducation Nationale, installation de la Fédération à la Commanderie des Templiers… Qui dit mieux ?

Bonjour Jean-Claude,

Tout d’abord, je voudrais te féliciter pour ton élection à l’Exécutive Board de la Fide pour l’Europe. Abordons donc d’abord le volet international comme premier thème de cette interview.

1 – Gouvernance de la Fide/ECU.
Le 11 août 2014, le légendaire Garry Kasparov a échoué lors de l’élection présidentielle de la Fédération Internationale des échecs face à l’indéboulonnable et richissime Kirsan Ilyumzhinov.

En quoi est-ce inquiétant pour le développement du jeu d’échecs dans le monde ?

JCM. Inquiétant n’est pas vraiment le mot, mais sclérosant car la Fide a besoin de changement de gouvernance. Le sport échiquéen ne progresse plus comme il devrait le faire même si maintenant nous avons un Champion du Monde clairement identifié, avec Magnus Carlsen, après des années de chaos. Je pense que ce qui ne changera pas :

  1. Il n’y a pas de modèle économique pour les échecs.
  2. Dans les petites nations échiquéennes, la Fide ne s’intéresse à elles que lors des élections. Mais c’est au quotidien, tous les jours, qu’il faut les aider à développer notre discipline. D’ailleurs où vont ces aides ? Dans quelles poches ?

Quelle est l’influence réelle de la France au sein de la Fide ?

Ce n’est pas une influence, mais une reconnaissance, du respect. Les autres fédérations sont vraiment impressionnées par le développement que nous avons connu ces dernières années. Ce n’est pas étonnant si j’arrive à me faire élire à une fonction à la Fide via l’ECU alors qu’il y avait du beau monde comme candidats (Ochoa notamment le président de la Fédération Espagnole et qui n’a pas été élu) et que je n’avais pas le soutien de Azmai (il avait distribué la veille à ses soutiens une liste de 4 noms, je n’étais pas dedans car il ne savait pas que j’allais me porter candidat), pas le soutien de l’équipe de Danaïlov (normal j’ai clairement affiché mon soutien au ticket Azmaïparashvili) et pas le soutien de ma fédération ! La France « Bashing » n’est pas qu’une invention de journalistes. Beaucoup critiquent ce que l’on nous envie à l’étranger

Comment interpréter la victoire du nouveau Président de l’European Chess Union (ECU) Zurab Azmaïparashvili (Géorgie) avec 33 voix contre 18 à Silvio Danaïlov (Bulgarie) ?

C’est logique ! Silvio avait fait campagne en 2010 sur le fait qu’il allait trouver des partenaires. Il n’a rien trouvé au bout de 4 ans, il est sanctionné. Un exemple : dans le budget 2013 il avait prévu 45 000 euros de revenus marketing. Il ne trouve rien et pour le budget 2014 il annonce 60 000 euros (et toujours zéro au moment de l’AG) ! Comme disait Audiard ; « On peut prendre les gens pour des cons, le tout c’est qu’ils ne s’en rendent pas compte ! » ou un truc dans ce genre. Sinon Silvio avait des gens de valeur autour de lui comme Sava et Almog.

Il est clair aussi que Kasparov a entraîné Silvio dans sa chute, comme les deux tickets étaient liés. Voyant le désastre après l’élection à la Fide, certaines fédérations qui soutenaient Silvio et qui ont voté Kasparov, sont allées dans le sens du vent. J’en connais au moins trois dans ce cas ! Mais là aussi les dés étaient jetés avant l’élection et nous connaissions les rapports de force.

2 – Résultats sportifs des Français. Comment qualifierais-tu le parcours des équipes de France mixte et féminine à l’Olympiade de Tromso ?

Les deux parcours sont excellents ! Les garçons ont vraiment bien joué et manqué d’un peu de réussite. Le très très haut niveau, car c’est de cela dont nous parlons, est exigeant et le moindre relâchement est fatal. Il nous manque cette rigueur, dans le sens force mentale, que peuvent avoir les Chinois ou les Allemands par exemple. Mais le talent est là ! La France « mixte » va gagner des compétitions dans les années à venir c’est certain. Mais cela doit aussi être l’objectif de la Fédération Française des Echecs et pas seulement des joueurs et il faut garder cette ossature.

Le parcours des filles est conforme à leur niveau et c’est déjà très bien. De plus il manquait Almira. Mais c’est clair qu’il sera plus difficile de réaliser un podium avec cette équipe car il y a vraiment une trop grande différence avec les meilleures. Sur un match on peut faire quelque chose mais pas sur la durée face aux Chinoises, Russes ou Ukrainiennes. Mais être dans les dix premières à chaque fois serait logique et doit être un objectif raisonnable pour la Fédération.

La championne de France Nino Maisuradze avait-elle sa place dans l’équipe féminine à Tromso ?

Ce n’est pas à nous de répondre ! Il y a un sélectionneur, il est le seul maître à bord et il faut lui faire confiance. Il n’a même pas à se justifier ! Pour moi être champion de France n’est pas un critère de sélection automatique sauf si la participation au championnat de France est obligatoire. J’en profite pour féliciter Mathilde Congiu pour son résultat car elle aurait pu craquer sous une telle pression. Alors qu’elle n’était même pas concernée puisque si Almira avait été présente, je suis certain que Matthieu Cornette l’aurait quand même sélectionnée dans sa logique de prime à la jeunesse.

3 – Fédération Française des Echecs. Quel est ton avis sur les premiers résultats de la nouvelle équipe FFE élue sous la présidence de Diego Salazar le 31 mars 2013 (évolution du sponsoring, résultats des équipes de France, nombre de licenciés, aide aux clubs) ?

C’est malheureusement conforme à ce que j’avais annoncé. Je ne croyais pas en cette équipe et cela se confirme. J’ai sans doute été maladroit dans ma communication pour l’exprimer au moment des élections, mais c’était un cri du cœur. Je le déplore sincèrement et j’aurais préféré avoir tout faux. Contrairement à ce que certains peuvent penser, je ne raisonne jamais en termes affectifs, mais en pensant efficacité. Je connais la plupart de ceux qui composaient la liste de Salazar. J’ai travaillé avec certains et j’en avais vu à « l’œuvre » dans certaines circonstances, je savais donc de quoi je parlais.

Il y a quelques personnes de valeur et compétentes, mais pas assez pour faire fonctionner et progresser une fédération aussi importante. Heureusement que ce que nous avions mis en place, permet de surfer sur une certaine continuité (équipe de salariés, locaux, partenariats, relation avec les collectivités pour nos organisations phares (Nîmes et Pau en 2015, c’était du tout cuit. Il a juste fallu les réactiver), Challenge BNP Paribas…), mais au bout de 4 ans que restera-t-il ? Combien y’a-t-il eu déjà de démissions au Comité Directeur depuis le 31 mars 2013 ou de membres qui ne sont jamais venus ou qui ont démissionné des fameuses commissions ? Ou en est le colloque qui devait être organisé à l’Unesco avec le ministère de l’éducation ? Ou est le fameux million pour les clubs ? Le nombre de licenciés est en baisse et pas seulement parce que la Corse ne prend plus de licence B. Combien de licenciés a rapporté le partenariat avec Europe Echecs ? Comment peut-on croire qu’en remplaçant Tregubov et Mullon (c’est criminel, ils sont de Clichy n’est-ce pas ) par un 2300 et un 2100 on va améliorer les résultats de l’équipe de France jeunes ? Autre effet d’annonce sans lendemain ; Ou en est-on de l’organisation à Paris du Championnat du Monde Carlsen-Anand ?

La ffe a pris une société pour rechercher des partenaires, très bien cela me pose aucun problème, mais au bout d’un an combien de partenaires ont été trouvés ? J’en profite pour dire que le salaire du président ne doit pas être conditionné au fait qu’il trouve ou pas des sponsors (débat à l’ag). Il est normal que le président de la ffe touche un bon salaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui encore. Diego avait dit qu’il s’alignerait sur moi… Il devait sans doute croire que je m’octroyais davantage !

Autre chose, c’est une erreur à mon sens d’externaliser la boutique car les tarifs pratiqués permettaient d’assurer un réel service aux clubs. Etc…

Il n’est pas trop tard pour redresser la barre, mais pour cela il va falloir arrêter de diviser et de monter les uns contre les autres ! J’en subis encore personnellement les conséquences… Mais comme il y a des procédures en cours, je préfère ne pas m’étendre sur le sujet.

4 – Question d’actualité sur le Championnat de France 2014 à Nîmes. Tu avais fait modifier le national féminin 2009 à Nîmes : moitié moins de candidates (6 joueuses à la place de 12) avec un tournoi en double ronde pour rendre la compétition plus intéressante avec un Elo moyen bien plus élevé.

Apparemment, l’idée a été abandonnée puisque le National Féminin de Nîmes 2014 se jouera à 12 participantes (comme l’an dernier déjà…). La plage est de plus de 400 points entre le plus fort Elo d’Almira Skripchenko (2442) et le plus faible Elo de Cécile Haussernot (2032). Comment justifier un tel retour à une telle formule à 12 joueuses ?

Plus intéressante certes, mais surtout pour que les joueuses s’entraînent à jouer dix parties difficiles de suite comme c’est le cas lors des Olympiades ou lors des Championnats d’Europe ! Ce n’est pas une politique sportive qui est menée, mais une politique pour faire plaisir au plus grand nombre.

Après, je pense que tout le monde à échoué pour le développement des Echecs féminin de Loubatière à Salazar (laissons lui quand même le bénéfice du doute il a encore deux ans et demi de mandat ) en passant par moi. C’est dès le plus jeune âge qu’il faut être volontariste si l’on veut être efficace. Je regrette de ne pas avoir su imposer la parité dans toutes les équipes jeunes et dans les compétitions scolaires par équipes. De ne pas avoir créé un championnat de France des clubs féminins comme il en existe un en Allemagne (j’ai passé commande à plusieurs reprises à la Directrice des Féminines qui ne s’est jamais mise au travail sur le sujet) et donc in fine de supprimer l’échiquier féminin en Interclubs pour toutes les divisions sauf peut-être à partir des divisions régionales qui auraient pu être alimentées par le vivier des jeunes. En fait tout le contraire de ce qui est fait depuis des années ! La meilleure preuve, nous n’avons aujourd’hui quasiment pas de relève pour l’équipe de France. Pour les choses positives, et puisque tu évoques Nîmes, c’est bien d’avoir confié à Christophe Philippe l’organisation du Championnat de France.

Comment rendre les échecs plus attractifs pour le grand public ?

C’est une question très difficile pour un pays comme la France où les gens ont tant de sollicitations et de choix. Ce qui nous aiderait, c’est qu’un Maxime Vachier-Lagrave devienne champion du Monde et encore je ne suis pas certain que cela serait suffisant. Mais l’exemple de la Norvège avec Carlsen est intéressant pour nous. 6h de direct par jour à la TV pour le suivi des Olympiades… Ouah ça fait rêver ! Donc pour en revenir à ce que devrait faire la ffe ; mettre le paquet sur MVL qui n’a que 23 ans ! Ca tombe bien il est invité au plus fort tournoi de tous les temps fin août.

5 – Souhaites-tu ajouter d’autres éléments à cet entretien ?

Non pas spécialement, sauf à inciter le maximum de joueurs à venir jouer le Grand-Prix des Pyramides les 13 & 14 septembre prochain. Les conditions de jeu sont très bonnes, il y a un parking gratuit, un accueil café pour les joueurs, des partenaires prestigieux (Pyramides, GDF SUEZ, Spie, Kids Up, Forum pour la Gestion des Villes, Ségic Ingéniérie…) et donc des bons prix ! Et le lendemain le Trophée des partenaires où seront invités les trois premiers des prix spéciaux. Sans oublier la soirée du 13 réservée aux élus et partenaires de l’événement, ce qui ne peut pas être mauvais pour les échecs français puisque plusieurs députés seront présents, maires de grandes villes et si nous avons de la chance, des ministres actuels ou anciens !

Merci Philippe de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer !

Pour en savoir plus : Le blog de Jean-Claude Moingt

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