Grâce à Internet, ce sport millénaire n’a jamais été aussi populaire. Mais il traverse aussi une période étrange et compliquée, avec un problème de triche qui pèse de plus en plus lourd.
Vladimir Kramnik recherche les tricheurs
Vladimir Kramnik, ancien champion du monde et figure très respectée du monde des échecs, est en train de mener une véritable croisade contre les tricheurs — et de mettre la scène compétitive à feu et à sang par la même occasion avec sa communication maladroite et sa méthodologie discutable. Retour sur un feuilleton unique dans l’histoire de ce sport, entre vérités indiscutables et paranoïa systémique.
Il fut un temps où les échecs étaient quasi exclusivement pratiqués par deux personnes assises autour d’un échiquier. Dans les années 1970, les premières plateformes d’échecs en ligne comme ICC ont commencé à apparaître. Cette dynamique a gagné en traction au fil des années avec l’apparition de nouveaux sites plus modernes comme Chess.com.
Plus récemment, les échecs en ligne ont connu une explosion sans précédent pendant la période du confinement, et tout particulièrement avec la sortie de l’excellent Jeu de la Dame de Netflix. L’aventure fictive de Beth Harmon a captivé des millions de spectateurs qui ont pris les plateformes en ligne d’assaut. Depuis, les échecs connaissent un nouvel âge d’or. Alors qu’ils étaient autrefois assez anecdotiques, on trouve de plus en plus de tournois de très haut niveau qui se jouent en ligne, souvent avec des sommes très importantes en jeu.
La triche et les échecs
Mais cette dynamique a aussi redonné de la visibilité à une autre thématique qui était relativement tabou jusqu’alors : la triche. En effet, il existe aujourd’hui une foule de programmes d’échecs extrêmement avancés, capables de battre n’importe quel grand maître à plate couture. Grâce à ces outils, n’importe qui peut désormais tricher facilement dans ces tournois, et ainsi priver les autres compétiteurs de leurs récompenses.
De nombreux joueurs d’élite commençaient donc à s’inquiéter. Beaucoup estimaient que ce n’était qu’une question de temps avant que le monde des échecs soit confronté à un immense scandale catastrophique pour l’image de ce noble sport… et ils avaient raison.
Cette bombe à retardement a fini par exploser en septembre 2022 lors de la Sinquefield Cup, un des tournois les plus prestigieux du circuit. Magnus Carlsen, le quintuple champion du monde norvégien qui domine outrageusement les échecs depuis dix ans, a perdu une partie remarquable contre Hans Niemann, un jeune américain très prometteur, mais au niveau largement inférieur. Et sa réaction a pris tout le monde au dépourvu : il a tout simplement décidé de quitter le tournoi sans justification valable. Une situation rarissime dans ce sport qui a laissé le public perplexe.
De nombreux observateurs ont interprété l’abandon de Carlsen comme une accusation de triche tacite (voir le tweet ci-dessus). En effet, Niemann traînait déjà quelques casseroles à ce niveau. Il avait déjà admis avoir triché en ligne par le passé, et s’est défendu en invoquant une erreur de jeunesse, et en expliquant qu’il ne trichait plus depuis longtemps. Des aveux qui n’ont pas convaincu tout le monde. La situation a continué à s’envenimer jusqu’à se transformer en vaste procès en diffamations après moult péripéties plus lunaires les unes que les autres. Certains internautes ont même suggéré que Niemann pourrait avoir triché lors de tournois physiques en utilisant des billes anales vibrantes — des accusations sans queue ni tête, mais qui montrent bien à quel point le débat était en train de déraper.
Kramnik monte au créneau
Depuis ce scandale, le problème de la triche est devenu le sujet de discussion numéro un dans le monde des échecs. De nombreux joueurs d’élite ont régulièrement pris la parole pour affirmer que Niemann n’était pas un cas isolé. Pour eux, il s’agit d’un problème systémique qui menace directement l’intégrité des échecs de haut niveau, dans un contexte où de plus en plus de tournois se jouent en ligne avec une supervision souvent laxiste par rapport aux enjeux sportifs et financiers.
On peut notamment citer le numéro 2 mondial Fabiano Caruana, qui aborde régulièrement ce sujet dans son podcast C-Squared. C’est un personnage connu pour son tact et son tempérament pragmatique, mais il a tout de même livré quelques analyses assez sévères de la situation, tout en restant mesuré dans ses propos. Or, ce n’est pas le cas de tout le monde. Car en parallèle, d’autres personnages beaucoup plus… énergiques se sont mêlés à la discussion.
C’est là qu’intervient Vladimir Kramnik, un titan russe des échecs qui est devenu champion du monde en battant le légendaire Garry Kasparov. Invité dans le podcast de Fabiano Caruana, il a révélé qu’il menait une grosse enquête de fond sur ce problème de triche en ligne. Il a notamment expliqué qu’il passait son temps à décortiquer des « statistiques » de la plateforme Chess.com avec l’aide d’une « équipe de mathématiciens ».
Sans désigner des joueurs en particulier, il a indiqué avoir trouvé énormément « d’anomalies statistiques », de cas « étranges » et « intéressants » — une terminologie vague qui aura son importance plus tard. Et surtout, il a affirmé qu’au moins 25 % des joueurs de haut niveau seraient coupables de triche en ligne, et que le chiffre réel était certainement bien plus élevé.
Ces tirades flamboyantes et ses analyses, qui visaient parfois de très jeunes joueurs, ont attiré énormément d’attention. Les professionnels et le public étaient curieux de découvrir ces fameuses analyses statistiques. Et elles ont fait leur petit effet — mais pas forcément pour les bonnes raisons. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que si c’est que l’ancien champion n’est pas aussi doué en mathématiques qu’il ne l’est derrière un échiquier.
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